Une bien risible folie

Suite à mon dernier article, chers lecteurs, j’avais décidé d’arrêter de vous divertir. Vous savez, dans un grand mouvement de décisions résolues qui ne dure souvent que quelques instants, d’autant plus courts qu’ils sont tranchés.

Je voulais être une apprentie blogueuse sérieuse à défaut d’être prise au sérieux. De toutes les façons, si je caressais la quelconque ambition de m’élever dans la hiérarchie pour devenir « un auteur », il me faudrait changer de sexe puisque la langue Française n’a statué sur aucune autre forme de substantif. Il y a des discussions à l’Académie, qui semble prendre son temps pour débattre. Remarquez, ils ont tout leur temps, les « immortels », et ce ne sont pas les cinq femmes sur les trente-six membres qui vont faire avancer l’affaire. Et puis, allons, allons, un peu de tempérance, il y a des sujets beaucoup plus « sérieux ».

Comme vous m’aimez bien, vous essaieriez de m’aider pour m’éviter d’autres décisions irréversibles et plus douloureuses et cela donnerait sans doute cette conversation :
« Mais peut-être que tu peux essayer de devenir « une auteure » ? me suggérerez-vous.
– Non, non, vous répondrai-je, lasse, pour certains académiciens, le mot n’entrerait pas dans « la morphologie de la langue » (1) et je garderai pour moi cette mauvaise, maladroite et potache blague qu’il n’y a pas que cette morphologie qui a du mal à entrer.
– « Une autrice » alors ?
– N’y pensez même pas ! Le mot bien que laid a certes été utilisé jusqu’au XVIIème siècle, mais a ensuite été rayé du dictionnaire par « les puristes » quand les femmes ont commencé véritablement à écrire.
– Alors quoi ? « Une écrivaine » ? Tu peux quand même essayer avec « une écrivaine » ! Vous agacerez-vous.
– Oh grand Dieu ! Surtout pas ça ! Vous n’imaginez pas le scandale ! Le mot paraîtrait « de mauvaise langue » pour ces ardents défenseurs du Français et de sa pureté. »

Heureusement pour notre amitié, Le Petit Robert plus proche des usages, nous réconcilierait en intégrant à son dictionnaire la forme « autrice » même rare, et « écrivaine », comme nos cousins Québécois l’ont adoptée sans plus de complexe. Ulcérée néanmoins, je m’enhardirais à vous demander une dernière fois de l’aide :
« Est-ce que quelqu’un osera un jour dire à ces émigrés de chez nous qu’ils sont partis avec un peu trop de notre pragmatisme et de notre progressisme social et qu’il serait très humain de leur part de nous en rendre un peu ? »

Je sais, je sais, je m’égare dans mon histoire, chers lecteurs, mais je suis en forme, je m’occupe de ma maison, je la range et je la nettoie. Je suis en grande forme ! Peut-être qu’un jour j’aurai une maison Japonaise au Canada. Qu’en pensez-vous ? Comme cela, je pourrai être « une auteure » et « une écrivaine », comme j’en aurai envie. Je serai heureuse et je pourrai épargner des combats d’un autre âge à mes lecteurs.

La vie m’a rattrapée de toutes les façons. Mes amis me rassurent et me poussent gentiment. Malgré les événements violents en France et leur issue incertaine, malgré les fractures et les attentes, vous avez encore besoin de rires et de légèreté, peut-être plus que jamais. Vous me priez de ne pas m’inquiéter pour notre pays, il a tout ce qu’il lui faut : un Président, un gouvernement, des institutions – je garde aussi pour moi cette question : l’Académie est-elle une institution ? -, des partis et des politiques, des professionnels pour gérer la crise.

Tranquillisée, je peux donc vous emmener boire un café dans le « Quartier Général » des « Moms » dont les chérubins vont dans les écoles avoisinantes. Pour aujourd’hui, nous avons rendez-vous à huit heures trente à « Tully’s », rue « Motomachi », avec les « Moms » de « Grade 4 », l’équivalent d’un CM1 en France (vous l’aurez compris sans autres explications, ce sont bien les enfants qui sont en CM1). Avant de nous y rendre, je me permets une délicate recommandation avec vous, chers lecteurs. Compte tenu de notre rentrée fracassante (2), il est inutile de nous inquiéter outre mesure. Allons-y détendus cette fois ! Nous discuterons à bâtons rompus, tranquillement. Nous ferons peut-être de belles rencontres, peut-être que nous en apprendrons davantage sur ce nouveau système scolaire et ses clefs, sur l’art d’apprivoiser la maîtresse autrement que par des serpents, sur quelques codes implicites. Et si rien de tout cela ne se produisait, peu importe, nous aurons passé un agréable moment ensemble.

C’est ainsi que cela s’est passé. Tout cela est vrai. J’ai juste menti à toutes ces « Moms ». Il faut savoir gouverner cet art parfois, au risque de choquer, surtout en si bonne compagnie. Je ne pouvais quand même pas expliquer que notre fille aînée veut rentrer en France, qu’elle n’a aucun ami parmi les tendres chérubins avec les mamans desquels je partage en ce moment même un thé, qu’elle « se fiche » de l’anglais comme de l’an quarante – plus tard, elle élèvera des vaches « bio » dans une ferme -, qu’elle a peur de sa maîtresse, que la cour de récréation dans notre vallée était bien plus grande, qu’elle pouvait courir davantage, que l’école était plus jolie et qu’elle donnait plus envie. Je ne pouvais vraiment pas le leur dire. J’ai été obligée de nous déguiser en famille idyllique, adaptable en toute circonstance et quelles que soient les difficultés, surtout dans cette merveilleuse contrée.

Et puis j’ai écouté les conversations, avec attention d’abord, et puis de moins en moins. Les discussions qui fusaient par petits groupes faisaient un tel brouhaha que je ne comprenais plus les anglais des unes et des autres. Une anglophone parfaite avait accaparé la parole – avec sincérité, ces personnes rendent un immense service aux autres plus introverties, je les recherche et je les remercie à chaque fois – et mon attention continuait de décrocher malgré mes efforts, puis elle a fini par rompre les chaînes de ma volonté et s’envoler tout à fait. Mon regard est devenu vague et je suis partie vers d’autres pays.

Une dernière tentative autoritaire pour la ramener et j’ai décidé de faire un peu d’exercices physiques, rien de tel pour réveiller un esprit endormi. Je suis donc allée faire un petit tour aux toilettes, c’est la seule chose qui est admise dans de pareilles circonstances.

Je m’occupe donc de mes petites affaires et à cet endroit précis, chers lecteurs, je suis incapable de vous expliquer la gymnastique de mon cerveau. Peut-être que je m’ennuyais plus que je ne me l’étais avouée et que je cherchais une véritable occupation, peut-être qu’en plus d’exercices physiques, j’avais besoin d’eau fraîche, car il est bien connu qu’elle défroisse et ragaillardit, peut-être que ces toilettes en particulier étaient si modernes que j’ai voulu « toucher », comme les enfants. A cet instant précis donc, je choisis de profiter de l’extraordinaire technologie Japonaise.

Chers lecteurs, excusez-moi, car il me faut vraiment m’arrêter une nouvelle fois dans mon récit pour vous expliquer qu’en plus de devenir sérieuse, j’ai quelques règles avec ce blog. Par exemple, et la première, est de ne pas vous parler de sujets politiques. Il y a d’autres tribunes pour cela, mais il me semble l’avoir déjà précisé dans un précédent article. La deuxième que je m’étais fixée, était de ne jamais vous livrer un article sur les toilettes. Jamais. Je trouvais cela trop gênant et trop éprouvant de mettre à l’épreuve ma pudeur, comme cela, sur la place publique. Et puis, l’objet était trop trivial et moi trop apprentie pour espérer le transformer en un autre objet, esthétique cette fois. Non. Il me fallait de la noblesse et de la beauté, comme à « Sankei-en » (3). Enfin, je trouvais cela trop attendu de votre part (bien qu’aucun lecteur ne me l’ait jamais demandé). C’est mon côté mutin pour rien, mutin vain. Esprit faible et pacifique, il me faut bien quelques rébellions de temps en temps. La troisième règle pour finir, c’est de ne jamais vous parler de (4). J’insère une note et un mot à lire depuis la droite et à comprendre avec vos propres recherches. J’ai trop peur de les rencontrer. C’est comme « Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom » dans Harry Potter ou « les auteures » et « les écrivaines » à l’Académie, pour ceux qui ne l’auraient pas lu.

Où en étais-je de mon intrigue ? Ah oui ! La cuvette des toilettes était bien chaude. Une petite musique roucoulante couvrait les éventuels bruyants témoignages d’un corps bien vivant et ravi de l’être. J’étais parfaitement détendue. Tellement détendue que mon cerveau a appuyé sur la touche « fantaisie », et mon doigt sur la touche « douchette ». Je n’ai pas eu le temps de réagir. Le jet que j’attendais à un endroit précis de mon anatomie s’est mystérieusement emballé. J’ai reçu une douche froide comme un avertissement, d’abord dans les cheveux puis dans une rotation parfaitement calculée, dans le dos en suivant la ligne très précise de ma colonne vertébrale depuis la nuque et jusqu’au coccyx. « Oh ! M…. » me suis-je écrié. Le temps de trouver mes esprits et le bouton « arrêt », le mal était parfaitement et minutieusement fait. Ces petits jets meurtriers avaient eu raison de mes boucles folles et de mon joli pull pour l’occasion. J’étais littéralement trempée.

J’ai été tentée de deviser sur mon état intérieur qui méritait un tel châtiment. Mais l’heure n’était pas à l’introspection. J’étais au moment où il était de mon devoir de trouver une solution digne pour sortir des toilettes, en évitant particulièrement de ruiner l’intégration de nos filles, surtout celle de notre aînée qui semble attirer à elle tous mes déboires.

J’ai cherché quel gaffeur pourrait me sortir de cet embarras inédit. J’ai pensé au tendre Bourvil, tout lui était pardonné. Non. Son image de benêt ne correspondait pas à cette compagnie distinguée. J’ai pensé à l’énergique et volontaire de Funès. Encore une fois, non. Ses grimaces hystériques ne convenaient pas à la circonstance qui exigeait un calme absolu. J’ai pensé à Jacquouille faisant ses ablutions chez Béatrice (5). Trois fois non, j’avais encore des manières. Qui alors ? Dujardin ? Je n’avais pas son aisance ni son sourire ravageur. Une idée d’outre-Manche a fini par germer dans ma cervelle redevenue opérationnelle après avoir rangé au placard sa panique : Mr Bean et son art de trouver des solutions à chaque problème. Mais j’ai très vite mis de côté son talent pour la complexification et l’improbable ou je me serais retrouvée saucissonnée dans un rouleau de papier toilettes en voulant absorber l’eau sur ma tête et mes vêtements. J’ai simplement arboré un sourire d’ange innocent et poli et je suis sortie, le dos collé avec soin à chacun des murs que j’ai du longer pour rejoindre ma chaise, évidemment à l’opposé des toilettes. Toutes les « Moms » me souriaient tendrement et je rendais un sourire bon et généreux. J’ai enfilé ma veste et j’ai pris congé aussitôt et sans attendre la fin :
« Bonne journée à toutes, j’ai été ravie de faire votre connaissance. Je vous retrouve à la fête de Noël, à l’école des enfants. Dans dix jours, c’est bien cela. A bientôt, oui, oui, au revoir ! »
Bien sûr, je n’irai pas à la fête qui a lieu demain : l’adage dit « Jamais deux sans trois ». « Deux-cent-trois » pour les intimes, ils se reconnaîtront.

Je suis rentrée me changer après ce surprenant et invraisemblable jet réservé à toutes les fesses de passage et j’ai bien ri. Je ris encore et de bon cœur quand je vous raconte mon histoire.

J’ai cherché une morale à cette trépidante aventure ou au moins une conclusion intelligente, comme la dernière fois (2). J’aurais au moins pu trouver un bon conseil pour les futurs voyageurs, conseil que vous avez aisément déjà deviné. C’est ainsi, puisque le pouvoir des mots vrais, sérieux et purs ne veut pas partager son privilège de me faire exister, il me reste la place du pitre, de l’amuseur public et de l’affreux Jojo. Et à défaut d’être un jour une « auteure » ou une « écrivaine », je fais le clown dans les toilettes, c’est mon siège à moi. Alors, je ne veux plus vous divertir, chers lecteurs, et vous détourner d’une vie parfois revêche. Je veux regarder la vie, debout, les yeux grand ouvert et je veux en jouer avec vous. Il nous reste le meilleur, les rires, la joie partagée, l’imagination et la création, pour libérer et enchanter nos vies.

Je vous souhaite de rire bien, beaucoup et longtemps, chers lecteurs, et tous les jours.

A très bientôt !

Article 25-photo1-12 12 2018

1 Voir l’article du Figaro : « Auteure », « autrice », « écrivaine » : quelle orthographe employer ?
2. Voir l’article C’est le grand jour !
3. Voir l’article Sankei-en
4. Azukay
5. Voir le film Les visiteurs

12 commentaires sur “Une bien risible folie

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    1. Merci Emilie pour ton message. Je crois que tes mots résument tout 😉 Merci pour tes petites apparitions qui me font toujours plaisir 🙂
      J’espère que tu as passé un joyeux Noël et je te souhaite de belles fêtes encore.
      Grosses bises.

      J’aime

    1. Merci Delphine… à chaque fois, j’imagine l’ambiance dans l’open space… parfois, je crains que ce blog ne devienne interdit 😉 Mais le rire est notre âme à tous.
      Et pour le jour où je serai reçue à l’Académie, je proposerai « Ecrivainautrice » !!! Top !!! 😉

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