L’usage du monde

« Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »
L’usage du monde, Nicolas Bouvier

Aujourd’hui c’est vendredi et je vous envoie un texte court, un texte pour rien, juste pour être avec vous encore quelques instants, avant la coupure des fêtes. Nos filles sont en vacances à midi ce jour, et pour trois semaines, alors il ne me reste que quelques heures devant moi.

Pourtant, je doute de pouvoir garder le silence et m’arrêter de vous écrire pendant ces vacances. Il le faudrait certainement pour reposer mon esprit et soigner son inventivité et son imagination, comme le jardinier cultive son jardin et le laisse s’éteindre et se retirer l’hiver pour le voir renaître à nouveau au printemps, et tenir toutes ses explosives promesses l’été. Mais j’ai toutes les lumières à vous envoyer, ici à « Yamate » et à « Minato Mirai », à Tokyo aussi, j’ai toutes nos futures découvertes. En l’absence de ceux que j’aime, en l’absence de nos discussions, tantôt sensibles et stimulantes, tantôt joyeuses et bouillonnantes, parfois déconstruites et perdues mais qui entraînent finalement mes pieds à se mettre l’un devant l’autre et à avancer, mon repos et mon énergie se trouvent au Japon et au Japon que j’écris, au Japon que je partage avec des liens si forts qu’ils continuent à m’inspirer malgré la distance.

Bercés par les mythologies Grecques et Romaines, nous savons que des dieux du ciel capricieux et imprévisibles pourraient s’écrouler sur nos têtes et qu’en attendant, ils tirent jovialement les ficelles indifférentes de nos aventures, bonnes ou mauvaises. Ce pays sait plus sûrement que la terre est vivante sous nos pieds et il nous force à vivre avec les histoires réelles de secousses tragiques et des pensées de catastrophe que chacun garde avec soi en remettant sa vie aux étoiles dans un grand mouvement cosmique. Mais ce n’est qu’une terre nourricière en trop d’abondance et qui a du mal à contenir la croisée de ses chemins et les sources du monde qu’elle diffuse pourtant en un mystère calme et imperceptible. Cette terre est comme le voyage, on croit qu’on y vit, mais bientôt c’est elle « qui vous fait, ou vous défait. »

Elle accueille le voyageur et elle le guérit, sans qu’il s’en aperçoive, elle l’aspire et elle l’assure et pourtant, il est resté le même du quotidien, des tracas de la vie, du matériel, des contingences. C’est ce même voyageur qui un jour prend le train pour se rendre à Tokyo. Il s’égare plusieurs fois, cela doit arriver, change de gares et de quais qu’il ne trouve pas car les satellites sont muets de temps en temps pour rappeler aux humains que la magie existe. Il attend et il doute. Il trouve un « express » qui file à l’allure berzingue vers la colossale capitale. Le voyageur debout, droit, culbuté vers la ville immense et son minuscule coin de rencontre, traverse des banlieues de dortoirs anonymes, de maisons embrumées, collées sous un ciel bas et gris, enjambe des rivières plates et abandonnées et dans cette raclée de heurts et de déveines, la terre puissante et secrète dans un de ses tours, le surprend : « Je t’ai vu. Tu es heureux d’être là, debout, dans le train, vivant et brinquebalé. C’est fait. Au revoir. » Le voyageur essaiera de comprendre et de nommer, en vain.
Plusieurs jours après, il réalisera qu’il n’est plus malade au point de s’évanouir dans les transports. Il n’a plus peur de ses destinations inconnues et il n’est plus pressé d’arriver dans l’espoir d’éviter les éventuelles complications qu’offrent tous les voyages, il n’a plus besoin d’y mettre toute sa volonté. Il veut bien se perdre désormais et chercher son chemin toute la journée et ne jamais arriver. Moi je sais que le voyageur a rencontré la terre et sa force, facétieuse mais sage, généreuse et féconde. Elle se cabre en turbulents soubresauts quand elle n’imagine plus à qui et comment la donner et que cet excès l’agace et l’étouffe. Elle est comme un enfant fatigué ne sachant plus s’il doit rire ou pleurer. Et moi, je tente de l’apprivoiser et d’y mettre bon ordre encore.

Alors je vous emmène une nouvelle fois à Sankei-en* apprécier les couleurs de la terre et de l’automne avant les lumières de Noël et de l’hiver et nous demander le nombre de visites qu’il nous faudra pour pouvoir affirmer que nous connaissons l’endroit. Je vous emmène aussi à « Ginza », les Champs Elysées à la manière Tokyoïte. Vous verrez, là aussi, vous vous sentirez bien.

Excellent week-end, chers lecteurs, tentons de nous abandonner quelquefois et laissons les ficelles des dieux et l’énergie de la terre nous surprendre un peu.


* Voir l’article Sankei-en

3 commentaires sur “L’usage du monde

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