11 octobre 2018. 4 heures du matin.
Jour du départ. Je suis assise dans mon salon, totalement vide, à même le sol, le dos contre un mur, face aux baies vitrées de l’appartement. J’attends que le jour se lève et j’écris. Je finis et je poste J’en avais tellement rêvé !, et je prépare le prochain, que je publierai à l’aéroport (1). Je me sens une vraie professionnelle, dans l’action et l’anticipation, mille choses à la fois. La figure d’une super femme des temps modernes, c’est moi. J’assure un maximum et je ne connais pas encore les ruses des bas de contention (2). Courte nuit sans sommeil malgré tout. L’angoisse du départ, sans doute, restons humbles. Mais aussi un souvenir gravé à vie, offert par nos amis, de quoi nous réjouir franchement quand nous aurons tant envie de pleurer.
Un bon repas partagé la veille. L. et moi rejoignons nos pénates, un matelas pneumatique épais et confortable qui trône dans notre chambre royale. A l’instant où nous nous couchons, harassés par des semaines de préparatifs, de bonheurs administratifs et de montagnes émotionnelles, notre lit de prêt fait entendre un doux sifflement, il croit que c’est le moment. Sans nous laisser abattre, nous en avons vu d’autres ces dernières semaines, ce n’est pas un matelas qui va nous résister, nous employons les grands moyens et nous endormons le coupable avec un petit « shoot » de gonfleur automatique et nous-mêmes, avec quelques fleurs de Bach. A une heure du matin, le vigoureux matelas a repris ses esprits. Il entonne une nouvelle chanson, un léger bruissement à mes oreilles. Je flotte de plus en plus dans des eaux insondables. Nous nous levons, dans un demi-sommeil déterminé. Les fleurs de Bach nous rendent intelligents, nous cherchons la source, tentons de replacer et recoller la rustine avec le rien que nous avons sous la main, remettons en marche le gonfleur automatique en nous excusant intérieurement auprès des voisins pour ce tintamarre inédit, refaisons notre lit et nous recouchons. Mon sommeil est un clapotis, une vague, une houle, une mer déchaînée, je coule, je touche le fond… de mon plancher. Inutile de lutter, je me lève.
Le matelas est désormais dans une poubelle et notre dernière nuit dans la vallée, dans nos têtes à jamais. Nous avons beaucoup ri et béni et tenté de rattraper notre sommeil dans l’avion, comme nous le pouvions. Vous connaissez la suite de nos aventures et enfin, oui enfin, chers lecteurs, je vous livre le fin mot de cette histoire.
28 janvier 2019. 10 h 51 du matin. C’est très précis.
Jour de l’emménagement de nos meubles et effets personnels. Je suis assise dans mon salon, totalement vide, à même le sol, le dos contre un mur, sous la soufflerie chaude du climatiseur. La société « Tokyo Lease » vient de débarrasser notre « survival package ». Il leur aura fallu moins d’une heure, entre les chaussures enlevées à l’entrée de la maison, les protections sur le sol, la vérification de la liste objet par objet – deux lits simples, un lit double, quatre tables de nuit, six assiettes, un ouvre-boîte, un couteau à beurre, vingt cintres, un aspirateur, un fer-à-repasser, quatre paires de draps simples, huit serviettes de toilette, la liste s’égrène -, et l’enlèvement des meubles. Ils sont efficaces et nous vivions avec rien, juste l’essentiel. Il ne reste dans la maison que le contenu de nos valises, un maigre transport aérien, quelques jeux supplémentaires (des Légo), un ukulélé, quelques vêtements additionnels pour contrer des erreurs d’aiguillage, quelques décorations de Noël, des bougies, le bricolage des enfants, un pingouin, des dessins. A l’avenir, nous aimerions reproduire cet essentiel, comme s’il laissait plus d’espace et de liberté à nos pensées.
Pour les Occidentaux, le temps est linéaire. Au Japon, il est circulaire. Nous voyons une droite inéluctable qui s’étire sans jamais se retourner, les Japonais voient des cercles réguliers et ininterrompus qui se rencontrent parfois et conversent ensemble avant de se séparer à nouveau et former une spirale infinie. Difficile à concevoir. Sauf peut-être aujourd’hui. Notre fille aînée a pleuré toute la soirée d’hier : « Je n’aurais jamais dû prendre la décision de partir. Maman, je t’en supplie, je veux rentrer en France.
– M’enfin avais-je envie de lui répondre, comme Lagaffe. Toutes tes affaires arrivent demain, tu devrais être contente.
– M’enfin, lui ai-je réellement dit, tu n’as malheureusement pas choisi ce départ. C’est nous qui t’imposons ce grand voyage. »
Au risque d’aggraver la situation, je lui dois la vérité, cet affreux statut de parents despotiques. Avec surprise, elle semble soulagée de n’avoir pas pris cette stupide et inconsciente décision et se calme. Semble même mieux m’aimer. Pour une fois que ce sont les parents qui font des « conneries ». Et celle-là, c’en est une bonne.
Le chagrin de mon aînée semble venir chuchoter à mon incompréhensible cafard du moment. « M’enfin, ressaisis-toi, me parlé-je, toutes tes affaires arrivent demain, tu devrais être contente. Il y a de la joie, même si tu dois mettre l’écriture entre parenthèses pendant quelques temps ! Ressaisis-toi donc ! » Impossible. Cafard, quand tu nous tiens !
Notre corps se souvient, ou notre âme, ou notre inconscient, ou que sais-je ? : un départ prometteur et heureux (et nous le sommes toujours autant de nos réalisations) mais l’inconnu, un départ noué et irréel. Nos séparations si difficiles et nos manques qui sont toujours présents.
Oui, je me souviens de chaque minute de nos aurevoirs et l’arrivée de nos meubles semblent nous ramener à notre départ. Elle ferme un cycle et semble en ouvrir un autre.
Je suis assise dans mon salon, totalement vide, à même le sol, le dos contre un mur, et je vous écris. J’attends nos meubles et la joie de redécouvrir nos affaires. Le temps gris semble faire place au soleil, chassé par des bourrasques impétueuses qui font voler les poubelles du quartier que je vais ramasser régulièrement. Il est 12 h 58. Le camion arrive, les déménageurs sonneront à 13 h 00 pile. Je finis cet article et je suis heureuse de mon chemin, aussi tourmenté soit-il.
A très bientôt, chers lecteurs.
Illustration : Em. EMillustrationsFR
(1) Voir l’article Visa.
(2) Voir l’article Le premier jour du reste de mon expatriation au Japon.
Un gros hug de France !!! je n’ai que ça à donner. Et oui une boucle est bouclée, belle image. Bises à toute la famille.
(formidable ce terme de survival package, I like it ;-)))
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Hi ma belle ! Merci pour ton petit mot, un bon hug chaleureux et accueillant et tes grandes attentions 😉
Le « survival package »… ça pourrait peut-être te donner des idées… une nouvelle référence à créer… nonnnnn, je blague 😉 Ça y est, je suis en train de remonter la pente !!!!!
Beau we, bon repos et à très vite 🙂
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Chassez ce cafard et accueillez vos meules à bras ouverts
Ne regrettez pas votre choix et profitez de votre expérience
Continuez à enrichir notre quotidien de vos découvertes
Bon courage pour le déballage
Nous sommes près de vous malgrè les qq km qui nous séparent.
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Merci beaucoup Stéphanie ! Que du réconfort dans tes mots. Et une présence qui nous accompagne fidèlement, malgré l’éloignement. Ah ces affreux moments de doutes… Heureusement, il y a les amies 🙂
Énormes bises à vous tous et à très vite, avec joie 😉
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Courage Marie-Pierre ! Vous allez retrouver la chaleur de vos meubles et de vos affaires.
Et dans tes cartons tu vas retrouver tes poêles à crêpes et vous allez vous faire une petite chandeleur gourmande !
Je pense fort à toi.
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Merci, merci Nelly !!! Aaaaahhhhh les crêpes, le remonte moral parfait !!! Nous en avons justement dégustées dans la rue Motomachi, dans un petit kiosque tenu par un couple de Japonais semblant assez âgé. Elles étaient délicieuses… C’était dimanche dernier, veille du grand emménagement… Nous avions le nez fin.
Merci pour tes messages de soutien et merci pour tes pensées, ça fait du bien !
Excellent we et joyeuses crêpes partagées avec ceux que tu aimes 🙂
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Allez, allez, hauts les cœurs Mme Kawaii, pensez à votre attirail de super héroïne (soutien gorge à pointes, gaine nucléaire, bottes (brillantes) de sept lieues et surtout, surtout… le diadème) et à cet instant magique qui suivra le rangement de tous vos cartons. Ce n’est pas le moment de se laisser pousser les poils 😉
Je t’embrasse et t’envoie mille pensées positives
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Mon Dieu que j’ai ri ! J’ai d’autant plus ri que ce rappel si drôle et si précis de nos costumes d’héroïnes de nos années fastes (pourrions-nous les appeler « les années Josué » ?) est arrivé pile le jour où j’ai entamé un grand défrichage… Au moins une heure et demi dans la salle de bain. Ouhaaaaa, ça fait du bien 😉 Le mal était fait depuis longtemps mais à l’heure où je te réponds, j’ai la peau lisse comme une jeune fille de vingt ans :-)) Et l’envie d’écrire à nouveau, même au milieu de mes cartons.
Merci,merci, merci pour ton soutien et ta joyeuse présence.
Bon we, grosses bises et à bientôt 🙂
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