Peut-être que si je n’étais pas allée à Sogo, un immense « mall » à la gare centrale de Yokohama, coincé dans un enchevêtrement d’autoroutes urbaines, le rendez-vous de toutes les marques, des plus inabordables au plus accessibles, j’aurais passé sous silence le sujet.
Peut-être que si je n’étais pas allée chercher un agenda « Hobonichi Techo » pour une amie, et pour moi-même par la même occasion, peut-être que si mon premier chantier à peine fini pour dompter les objets avec Marie Kondo, je n’avais voulu m’attaquer à celui du temps, avec l’illusion toute puissante de pouvoir le ranger lui aussi dans des cases emboîtables et triées par catégories, tel un démiurge de l’univers, ou à tout le moins de tordre le cou à mes procrastinations, de remblayer mes trous noirs dans lesquels j’enfouis des oublis d’Alzheimer, soumettre une bonne fois pour toute des obsessions insomniaques, arrêter une course girouette entraînée par des voix impérieuses et contraires : « le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. » « Ici, prendre son temps est le meilleur moyen de n’en pas perdre. » (1), ou simplement rengainer les armes avec nos journées et ne plus servir un gratin d’épinards (même délicieux !) à dix-sept heures le samedi après-midi et perdre nos enfants dans le cycle infernal des heures tout en faisant d’adroites pirouettes : « Maman, on mange le déjeuner ou le goûter ? ». « On mange le goûter mais aujourd’hui, exceptionnellement, on mange un gratin. C’est rigolo, non ? » « Ah d’accord. », peut-être que je serais passée à côté de ces étonnements qu’offre le Japon dès que le voyageur met son nez dehors.
Peut-être que si, du même coup, je n’avais voulu essayer d’encadrer « Noire et Blanche » (2), j’aurais laissé les affaires produire leur oeuvre sans moi.
C’était il y a exactement dix jours. « Setsubun » (3) nous offrait une merveilleuse journée de printemps mûr en plein hiver, et je m’étais promise d’en profiter, de me promener le long de la mer, privilège dont j’ai rêvé toutes mes années au bureau les jours de beau temps. J’étais à Sogo, sous les éclairages brillants du désert commercial du lundi, et j’exécutais des visites maniaques de chaque étage pour retrouver la boutique d’encadrement aperçue au mois de décembre. C’est alors que je suis tombée nez-à-nez avec une ruche affairée, bourdonnante et appliquée. Des petites échoppes éphémères (un concept à Sogo) regroupées en un entrelacs serré attiraient le chaland qui semblait jouer sa vie, plus encore que le marchand sa caisse.
Presque tout le chocolat de l’Europe et du Japon s’était donné rendez-vous, la Suisse, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche (la fameuse Demel), les Pays-Bas, l’Italie (j’ai découvert), la France, et bien sûr le Japon. Une concentration inouïe, inédite, inattendue. Toutes les formes rivalisaient entre elles, des carrés, des voitures, des diamants, des bâtons, et des cœurs… Beaucoup de cœurs. J’étais tombée en pleine effervescence de la Saint-Valentin et toutes ces chalandes venaient honorer leur histoire d’amour. J’avais l’impression de vivre la transhumance reproductive des crabes rouges sur l’île Christmas en Australie. Depuis, j’ai appris que le 14 février est le cadeau des femmes au Japon. Je joints quelques clichés et le seul homme que j’ai croisé était sans doute aussi le seul capable de jouer avec moi de ce spectacle. Je joints également un lien pour les curieux de cette tradition (4), d’autant que les conventions ne s’arrêtent pas là. Sans code, la vie serait ennuyeuse sur les îles nippones car chacun sait que l’isolement rend terne et que la créativité nécessite un esprit aiguisé !
A la fin, je me suis moi aussi transformée en crabe et j’ai voulu faire comme ces amoureuses, choisir avec gravité, une pesée réfléchie, mûrie, assurée, le meilleur. Je ne voulais pas que mon Valentin soit en reste. J’ai cherché mon génial pâtissier de la vallée mais il n’est pas encore arrivé au Japon. Il réserve encore ses créations aux « happy few » de mon bout de France. J’ai donc fini par jeter mon dévolu sur un chocolatier Japonais installé à Paris (5) en espérant qu’ils se rencontreront un jour. J’aime les mélanges et j’aime pouvoir partager avec vous quelques découvertes dont vous pourrez pousser la porte si le cœur vous en dit et les distances vous le permettent. Pour ma part, je suis très fière de moi. Sans avoir ouvert encore mon « Hobonichi », j’avais dix jours d’avance et je doute de battre ce record pour la Saint-Valentin ailleurs dans le monde. Le Japon me porte.
Je vous écris et je n’ai plus de surprise pour mon amoureux – il lit Kawaii. Il sait en même temps que mes surprises sont ailleurs. La Saint-Valentin est commerciale mais ce marché improbable et cette tendre fête me rappelle au milieu de mon emménagement que mon « Hobonichi » ne réglera pas les contradictions et les coups de boutoir de mes jours. Il me faut embarquer pour un autre long et merveilleux voyage sur des mers intérieures et invisibles à l’œil nu. En attendant, il est bon de savoir s’arrêter, savourer et apprécier les petites surprises de la vie.
Heureuse Saint-Valentin, chers lecteurs !
Illustration : Em. EMillustrationsFR
* Somebody to love, Queen
(1) L’usage du monde, Nicolas Bouvier
(2) Photographie de Man Ray, voir l’article Que me restera-t’il ?
(3) Voir l’article Voyageons léger !
(4) La Saint-Valentin au Japon
(5) Pâtisserie Sadaharu AOKI : site Français et site Japonais
Hello !
Impressionnant tous ces vendeurs de chocolat !
Des épinards au goûter ?! je suis perplexe, là….
Merci pour cet aperçu de la Saint Valentin au Japon. Je note que les hommes s’en sortent bien avec les « giri-choco »…
…et moi je t’envoie de tout mon coeur des « tomo-choco » 🙂
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Ouuuuu… Je vois que tu as bien potassé le sujet !!! 😉 Merci pour ces « tomo-choco » que je t’envoie également avec tout mon cœur…
As-tu noté que le 14 mars, c’est au tour des hommes d’offrir ??? Un bon plan !
Excellente continuation à toi et bon week-end !
Grosses bises.
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Pas étonnant qu’il faille un Hobonichi pour suivre toutes ces fêtes et des méthodes de rangement et classement vertical pour éliminer tout ça. Chez nous, de mémoire, en Mars il n’y a pas rien à l’agenda.
Ils étaient à quoi les chocolats ? nous avons spéculé sur le wasabi, le poulpe ou le matcha en dégustant du chocolat au graines de sésame (trop bon! merci Marie) ou à la fleur de sel. Et oui les clichés ont la vie dure 😉 heureusement que tu ouvres nos chakras.
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Bien vu Cath !!! Il n’est pas étonnant que l’Hobonichi soit né au Japon car il serait impossible de passer à côté d’une fête, chômée ou non…
Ah ! Le chocolat… Le chocolat…pas de wasabi, ni de poulpe ou de matcha (même si celui-ci est très courant), pas de graines de sésame… mais un chocolat d’une finesse… J’ai eu le nez fin… et ce pâtissier est chez vous, à Paris !!! Poussez la porte d’une de ces boutiques, pour les amateurs ! Vous ne serez pas déçus (je n’ai aucune action 😉 😉 😉
Grosses bises
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Merci pour ce beau voyage chocolaté
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Assez incroyable, n’est-ce pas cette concentration de chocolatiers ??? J’aurais pu goûter presque à chaque stand et en même temps, je n’ai pas voulu commencer… Je ne sais pas où je me serais arrêtée 😉
Bises et à bientôt 🙂
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