Badminton

Parmi les projets de printemps (1), il m’est impossible de ne pas partager avec vous mes premiers cours de badminton et mes espoirs d’un retour à une certaine forme physique.

Ce sport n’exigeant pas la moindre technique pour devenir vite ludique, me ramène à de plus jeunes années professionnelles quand à l’heure du déjeuner, je partageais avec trois collègues amis, des doubles fougueux et hebdomadaires, des volants salvateurs de nos misères, des fous rires pliés et à genoux, des sandwichs et peut-être des bières (osions-nous ?), et une vénération inconditionnelle pour l’affiche du beau Miguel qui proposait ses leçons payantes. Avec ma partenaire féminine, nous saluions la tête courbée à l’avant, la main sur le cœur et le cœur pouffant et adolescent, le blond délavé et le sourire séducteur de ce coach désopilant qui ne nous aurait sans doute pas acceptées comme élèves, trop dissipées, pas assez concentrées ni respectueuses de la discipline : « A toi, Miguel ! », « Miguel, nous te saluons ! » « Ah ! Le beau Miguel ! » Chacun de nous quand ce fut l’heure a continué son propre chemin, que je crois heureux, sauf Miguel qui aux dernières nouvelles reste fidèle parmi les fidèles du lieu.

Dans ce centre sportif municipal et bon marché à Honmoku (2), que je n’aurais jamais trouvé sans une amie japonaise qui m’y a introduite et inscrite, je n’ai pas rencontré de beau Miguel mais un accueil prévenant et hospitalier. Ici les vestiaires, pieds nus ou en chaussettes, au premier étage la salle d’entrainement, avec des baskets adaptées et nettoyées, propreté japonaise oblige, fort appréciable, au demeurant :
« Nous sommes désolés, explique l’unique employé anglophone qui attendait mon arrivée, vous êtes la première étrangère à prendre des cours de badminton. Ici, aucun professeur ne parle anglais. Il vous faudra apprendre en regardant et il nous faudra enseigner avec le cœur. Nous espérons néanmoins que vous prendrez beaucoup de plaisir à ce sport. Vous pouvez venir me trouver à l’accueil à n’importe quel moment. » Effet renversant. J’ai promis que j’allais apprendre le japonais, deuxième motivation après les terres éloignées de l’archipel (3).

Depuis deux séances de presque deux heures, j’ai appris à répondre à l’appel de chaque début de cours « X san ! », « Hai ! », lever de la main et signe bref de la tête, « bouffer » la technique et la précision japonaise, la position millimétrée de la main et des doigts sur la raquette, le dégagement de fond de cours, le service, le coup droit et le revers, le balai des jambes à droite, retour au centre, le balai des jambes à gauche, retour au centre, les pas arrières et retour au centre, les bras en croix quand la technique n’est pas bonne, des caricatures hilarantes de moi-même afin de me faire comprendre que je ne possède aucun style, aucun maintien, aucune économie et aucune efficacité du jeu, j’ai échangé des volants au rythme des « Hai ! » puissants et encourageants de ma coach, « Hai ! », « Hai ! », « Hai ! », essayé de répondre à l’injonction hyperbolique « Relax ! », « Relax ! », « Relax ! » d’une autre (à quelle qualité enfouie de Madame Kawaii, cette consciencieuse femme m’exhorte ?), changé de partenaires toutes les deux minutes, me suis excusée mille fois pour tous les volants ratés « gomèn’nassaï », « gomèn’nassaï », « gomèn’nassaï », et finalement effondrée sur le banc de repos, le nez dans ma serviette, haletante, ma bouteille d’eau vide, incapable de répondre à ma professeure aussi souriante que Miguel, me demandant le pouce et l’index en rond, « Ok ? », « Ok ? », « Ok ? ». Silence et anéantissement. Si je croyais aux esprits, il est certain que je méditerais sur la revanche de l’exquis Miguel.

J’ai pu observer comment le mot « individualité » s’effaçait au profit de « groupe » et « consensus » si propres aux Japonais. Chaque coach se partage entre l’échauffement, une série d’exercices en enfilade compté sur un ton monocorde, « ici », « ni », « san », « shi », « yon », « go », « roku », « shichi », « hachi », « ku », « jû », digne de radio Taisô (4) et des mouvements matinaux des entreprises nippones, puis le cours théorique et les étirement de la fin, qu’elles alternent avec le cours suivant, comme elle alternent les groupes de niveau. Si les exercices nécessitent un ordre de passage parmi les élèves, le jeu « pierre – feuille – ciseau » prédestine à la hiérarchie de chaque joueur. Et tous, une fois la séance terminée, nous balayons la salle et aspirons les balais sur la musique déhanchée « Bamboléo » des Gispy Kings, mise en route  par la coach de zumba teinte en rose qui prépare le cours suivant, « Bamboleo, bambolea, Porque mi vida, yo la prefiero vivir asi » (5).

Mes coéquipières s’appellent Miki et Yoko et la France d’où je viens sont les seuls mots que nous avons pu échanger. Nous avons achoppé sur « à la prochaine fois », « see you next time », malgré notre curiosité et la volonté de nous connaître un peu plus, ou au-delà des barrières que le sport fait sauter plus facilement. J’ai rencontré dans les vestiaires une japonaise mariée à un français et parlant couramment notre langue. Je réalise qu’au-delà d’une technique parfaite qui me demandera des heures d’entrainement, je ressens une joie inattendue à ces quelques contacts, minces, modestes, trop vite limités. Tel Dunbar (6), je suis dans mon fort, dans un avant-poste de l’Est cette fois, et je me réjouis de la compagnie du pays. Cet enjouement dévoile une soif d’échanger, de comprendre et de tisser quelques liens, malgré une grande prudence, peu d’attente, et la mesure de mon ignorance abyssale de l’âme japonaise si différente, codifiée, ambivalente et si imprévisible pour un occidental, et sans doute le reste du monde.

J’aimerais réussir à devenir une habituée des jeudis matin, d’un endroit connu en dehors de l’école, saluer des visages familiers, « ohayo » à la cantonade, refaire les mêmes gestes, résister au distributeur de glaces et plutôt choisir une boisson hypocalorique avec mes coéquipières et prendre des nouvelles ou commenter le cours de nos impressions. Mais je ne me fais aucune illusion. J’attends un revers, sans doute inévitable. Il importe peu. Je plante mes graines à plusieurs endroits de mon jardin, avec lenteur, avec patience, du mieux que je le peux et que je le suis. Je les observe et elles m’interrogent sans relâche. Elles m’apprendront toutes et l’une d’elles deviendra peut-être une magnifique fleur.

En attendant, je remets mes écouteurs pour longer le boulevard d’Honmoku qui me ramènera au pied de la falaise, j’escalade la rampe des escaliers et je traverse l’ « Harbor view park », je fais un détour pour observer le port, remarquer à quel point la vue est dégagée aujourd’hui et le temps clair, et je savoure le plaisir d’être simplement présente en ce lieu.

A très bientôt, chères lectrices et chers lecteurs.

(1) Voir l’article Welcome back to Japan !
(2) Nom du quartier, à Yokohama
(3) Voir l’article Vous ne savez pas la dernière
(4) Voir Vivre le Japon, Radio Taisô, la gymnastique sur les ondes. Et une caricature sympathique : Gym à la télé japonaise avec Takeshi Kitano
(5) Je danse, dansons le bamboleo, Parce que ma vie, je préfère la vivre ainsi
(6) Danse avec les loups, Kevin Costner, 1990

9 commentaires sur “Badminton

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    1. Hi Chris !
      Hummm… Je dirai que… de même que si je croyais aux esprits, il est certain que je méditerais sur la revanche de l’exquis Miguel… de même si je croyais aux esprits, il est certain que je serais connectée d’une manière ou d’une autre avec vous tous… Pure coïncidence, oui, étrange et plus qu’étrange 🙂
      J’espère que vous avez passé une belle soirée !
      Bises

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  1. Excellente idée le badminton !
    Figure toi que j’ai testé le badminton à l’heure du déjeuner il y a 15 jours !
    J’aurai besoin de quelques cours d’ailleurs 🙂 Faut que je me renseigne auprès de Miguel si j’ai bien compris !!

    Aimé par 1 personne

    1. Incroyable que tu aies essayé récemment ! En même temps que moi en fait 🙂
      Si cela te plaît, quelques cours te feront du bien (j’ai bêtement attendu)… Tu te fatigueras moins et tu joueras plus longtemps, et t’amuseras autant, voire plus. Et si Miguel est toujours là, c’est à lui qu’il faut s’adresser. Je pense qu’il est fort sympathique 😉
      Et on se fait un petit match à mon retour en France !!!

      Aimé par 1 personne

  2. C’est une nouvelle immersion dans la culture japonaise ce cours de badminton. Bravo d’avoir oser ! Tant pour le sport que les rencontres (presque) silencieuses que tu y fais. Ca doit etre trop dur de ne pas pouvoir « papoter » !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Delphine ! Oui, c’est un pas de plus dans la culture Japonaise… Un autre sillon que je creuse… Ces cours sont très salvateurs… au-delà du sport, comme tu l’as bien compris. Miki et Yoko m’ont félicitée pour mon revers… tout cela en langage des signes 😉
      « Papoter » me manque et… je l’avoue… nos filles me surprennent à me parler seule à la maison… 🙂 🙂 🙂

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