La cloche a sonné

Pas de cuisine aujourd’hui, ni de lointaines destinations. Aujourd’hui, Madame Kawaii dévoile une infime tranche de vie.

L’école se termine vendredi 14 juin. Cette semaine avant la dernière, les élèves célèbrent les professeurs avec un calendrier indicatif et libre : lundi, fleurs, mardi, snack préféré, mercredi, « High 5 » – Madame Kawaii a dû se renseigner : un tope là avec l’enseignant -, jeudi, boisson favorite, et vendredi, mots de remerciements en plus du pique-nique annuel. Madame Kawaii manque le premier jour et les fleurs, puis s’applique aux achats avec ses filles. Le nez collé à l’emploi du temps, elles se creusent les méninges pour faire mouche auprès de chaque enseignant : matières générales et musique, art, éducation physique, anglais “as additional language support” et théâtre. En retour et c’est de bonne guerre, l’école informe que les poux profitent de quelques têtes.

Madame Kawaii rêve. Elle tente d’enseigner le français à ses filles, tâche obstinée et ingrate. Sa cadette transforme ces trente minutes journalières en tragédie, supplications, lamentations, menaces et effondrements. Elle espère sans doute y échapper : « C’est toujours toi qui finis par céder maman. » A y réfléchir, Madame Kawaii mériterait peut-être un “check” ou un “favorite” cadeau.

Les mamans – et les enfants -, souhaitent se dire “au revoir”, ancrer des relations de quelques mois, ou tout simplement profiter, un dernier café, un dernier déjeuner, un dernier goûter, un dernier jeu, un dernier verre, un dernier barbecue. Certaines repartent. « Déjà ! Nous venons à peine de sympathiser ! » Les prochaines arrivent. Lundi, Madame Kawaii a fait la connaissance de son nouveau voisin, en plein état des lieux et livraison de meubles de location. « Tokyo lease » encore, le même camion, les mêmes cartons (1). Cela vaut sans doute un apéritif. Les agendas se remplissent, inexorablement.

Madame Kawaii plonge dans ses souvenirs. Elle revoit le tri patient des poubelles avec la voisine, accroupies sur le trottoir, la tête dans les sacs. Elle se remémore son attention pour setsubun (2), la nécessité alors inconnue de chasser les mauvais esprits de la maison. Ils ont eu tout le loisir de prendre leur quartier, les quelques semaines vacantes entre les derniers locataires et les suivants.

Il est l’heure pour Madame Kawaii de régler ses dettes. Plutôt que d’imposer une fin énergique à sa procrastination, elle attendait le bon moment. Il lui fallait des signes du ciel. Aujourd’hui, elle a croisé le fils de la voisine en sortant ses poubelles. La radio était inhabituellement allumée dans le jardin. C’était le jour. Allez savoir pourquoi ?
Elle ira enfin offrir les chocolats ramenés de France tout exprès, dégustés finalement en famille, rachetés à Motomachi et présentés à la japonaise, trois rangées de trois chocolats différents, uniquement des chiffres impairs pour ne pas porter la poisse (3).

Madame Kawaii a trop tardé, elle le sait. La voisine l’encourage pour ses rares mots de japonais. La visiteuse annonce, soulagée, qu’elle débutera les cours le mois de septembre prochain. La voisine n’aurait pas compris qu’elle ne s’y colle pas. Elle aimerait discuter davantage et l’inviter chez elle.
Mais sans autre mot, elles admirent le prunier du jardin – demain la voisine ramassera les ume pour les transformer en ume-boshi (4) -, les boutures de plantes grasses dans de magnifiques vasques d’eau, des poissons microscopiques arrivés là sans qu’il soit possible de dire comment. Madame Kawaii s’imagine dans un film japonais lent et un peu ennuyeux. Les destins restent mystérieux et les mouvement silencieux disent plus que le reste.

La rentrée s’organise. Les associations préparent leur programme et quelques rencontres occupent déjà Madame Kawaii. Les cours du deuxième niveau de badminton auront lieu du mois de juillet à septembre. Encore un entraînement et Madame Kawaii perdra ses deux acolytes. Elles avaient sympathisé grâce à Google translate, les yeux et le cœur. Ces deux femmes sont aussi déçues qu’elle, car les parties se trouvaient bonnes. Elle devra intégrer un nouveau groupe au mois d’octobre.

Madame Kawaii se plaint, un peu, aussi. Elle joue un théâtre angoissé, son temps d’écriture réduit à une peau de chagrin amer en raison des deux mois de vacances à venir. Elle brandit Hemingway, invoque les poids lourds : “La chose la plus difficile, car le temps est si court, est pour (l’écrivain) […] de faire son travail. » (5) Avant, dans sa vie d’avant, elle appelait, suppliait les vacances. Aujourd’hui, elle a ses classes d’été, et veut travailler, travailler, travailler. Elle s’est achetée une imprimante, maigre lot de consolation.

Il lui reste la transformation de sa maison en bunker de boîtes hermétiques afin de protéger les vêtements, l’alimentation ou autres objets de valeur. Les bombes anti-insectes et les pièges à cafards quant à eux, sont en pole position depuis longtemps. Les expatriés se révèlent solidaires et se refilent les bons tuyaux. Madame Kawaii prient et s’excusent pour toutes les espèces qui vont disparaître à jamais et celles qu’elle s’apprête à massacrer si elles entraient dans sa maison. Elle est redevenue prédatrice instinctive et il s’agit de son toit et de sa nourriture ou des leur. Elle a choisi. Le Japon attend la saison des pluies dès demain. Ensuite, l’humidité saturera l’atmosphère et la rendra aussi infernale que peut l’être l’enfer (6). Dès lors, Madame Kawaii sera partie en France, vers ses vacances et d’autres aventures.

Les sakura l’avaient attendue au début du mois d’avril. L’été fera de même, à la mi-août, pour la rentrée scolaire, en plein coeur de la fournaise japonaise. De cela, Madame Kawaii en est certaine.

Mais je vous dis à très bientôt, chères lectrices et chers lecteurs ! Et rassurez-vous, car d’ici-là, il me reste quelques histoires nippones à vous raconter.

(1) Voir l’article « Survival package », c’est fini !
(2) Voir l’article Voyageons léger !
(3) Les Japonais préfèrent les chiffres impairs, indivisibles et donc symboles d’unité. Pour cette raison, les aliments (sushi, etc.) sont presque toujours présentés en nombre impair
(4) Prune ume saumurée et séchée
(5) Ernest Hemingway on writing, sous la direction de Larry W. Phillips
(6) Kanpai ! Comment supporter la chaleur estivale au Japon

6 commentaires sur “La cloche a sonné

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  1. Le temps file… Presqu’une année scolaire passée au Japon, c’est dingue. Il y a un an tu n’osais pas encore y croire. Maintenant tes filles ont pris le rythme et Mme Kawaï nous fait voyager. Chez nous aussi ce sont des repères bien connus qui rythment la fin d’année scolaire, Cannes, Roland Garros ou encore Urgences xème édition ;-). Mais surtout bientôt Juillet et l’immense joie de te revoir.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Cath pour ton commentaire qui me touche beaucoup ! J’espère que Urgences xème édition s’est bien passé et a été fructueux pour tous. Oui, presque une année scolaire et j’ai déjà oublié ce rendez-vous incontournable que je ne crois pas avoir déserté une seule année…
      Alors maintenant, profite bien de ton we de la Pentecôte 🙂
      Juin reste juin, où que nous soyons dans le monde, je le crois 🙂
      A très bientôt, avec la joie que tu sais !

      J’aime

  2. Waou, le temps file en effet !
    2ème niveau de badminton ??! Euh… j’ai peur, je tremble…. 😉
    Ça va être un massacre 😦
    Très… particulier cette histoire de semaine de l’appréciation !! Du coup pour favorite « snack », l’enseignant récupère 25x son gâteau au chocolat préféré ?! J’aime bien l’idée 🙂

    A très vite !
    Je vais continuer de m’entraîner !!

    Aimé par 1 personne

    1. Hello Nelly,
      Ça fait plaisir de te retrouver ! Ouhaaaaa ! Super !
      No stress, le niveau 2, c’est pour après la rentrée… Et cela ne veut strictement rien dire. Si ce n’est que j’ai « bouffé » plus d’exercices qu’avant 😉
      La semaine de l’appréciation… Tu ne veux pas lancer cela à la com. ? Histoire de recevoir x boîtes de langues de chat. Hi hi hi… Je suis contente de mon idée.
      Bonne continuation et j’espère que tu reprends pied sereinement.
      Bises

      Aimé par 1 personne

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