Dans le parc Motomachi, il restait un secret bien gardé jusque-là. Au cœur de la mégalopole la plus peuplée du monde, protégée par les arbres, la falaise, « the bluff » pour les westerners, abrite une piscine de cinquante mètres et huit lignes d’eau, à moins de trois cent mètres de notre maison. Trésor du quartier pour l’été, ouverte de neuf heures à vingt et une heures, du treize juillet au huit septembre. Nous l’avions découverte par hasard à Halloween (1) et rêvions de nous y baigner depuis.
A son emplacement, se trouvaient, il y a environ cent cinquante ans, les concessions d’Alfred Gérard. Et sur ces concessions se trouvaient des sources que l’entrepreneur français exploita pour approvisionner, à l’aide de savants aqueducs, les navires de haute mer en partance. A cet endroit, notre Alfred se lança également dans la fabrique de tuiles et de briques, soutenant ainsi la construction de Yokohama. Il reste un petit bassin à poissons sur les vestiges des conduites d’eau. La piscine quant à elle, fut construite en mille neuf cent trente, en raison de ces sources qui ont fait la fortune de notre aïeul national.
Mille neuf cent trente. La piscine est vétuste. Une pièce pour les vestiaires, quelques cabines avec un rideau rose pâle pour les femmes, à peine tirés car au Japon, on ne fait pas une affaire de la nudité d’Adam et Ève, des rangées de casiers au cas où. Quelques douches froides à l’extérieur, les toilettes également. La propreté semble soignée, l’heure (2) coûte deux cent yens – un euros soixante dix – et l’occasion de se refroidir prend le dessus sur le reste.
Lundi dernier, jour de la rentrée, souhaitant prolonger nos vacances et combattre les effets du jet lag, nous avons enfin « essayé » notre piscine. Avisée par nos voisins que le règlement impose un adulte par enfant de moins de treize ans, seule avec nos filles, j’ai passé l’entrée à l’aide d’un mensonge très latin. Nous retrouvons quelques familles, des copines, la piscine semble un rendez-vous social des expatriés.
A dix-sept heures, comme à toutes les heures, coup de sifflet et quelques phrases en japonais. La piscine se vide pour le contrôle sanitaire : un surveillant de baignade se jette dans le bassin et inspecte les évacuations, le sol, les lignes d’eau, etc. Dix minutes plus tard, coup de sifflet et remise à l’eau des baigneurs.
Quatre life guards, deux à une extrémité, un troisième à l’autre sur une chaise surélevée et un dernier tournant autour du bassin, casquette rouge, t-shirt jaune et maillot de bain noir, assurent la sécurité et le respect des règles : pas de claquette de piscine, pas de photo, interdiction de sauter, de plonger – profondeur du bassin réglementaire entre 1, 2 et 1, 4 mètres -, un couloir pour nager dans un sens, un autre dans l’autre. Je nage à contre courant. Sifflet et rappel à l’ordre. Interdiction de s’y arrêter. Sifflet et rappel à l’ordre.
A dix-huit heures, coup de sifflet. « Quoi encore ? Il faut sortir ? » Heures de nuit cette fois, les enfants de moins de six ans et leur famille sont priés de partir. Un vieux monsieur alpague une life guard, cherche des noises à notre fille cadette : « Où est la mère ? Où est la mère ? Elle a moins de treize ans. Vous devez faire respecter le règlement. Un parent doit se trouver dans le bain avec elle. C’est le règlement. » Je souris, j’acquiesce. La life guard me remercie pour ma compréhension. Le vieux monsieur reprend son cirque avec un papa chinois et sa fille. Je l’enverrais bien faire la police à Marseille celui-là (4).
Victimes tous les deux, nous échangeons quelques mots et j’annonce, entêtée, que je tente quelques longueurs malgré l’interdiction. A ma stupéfaction, celui-ci m’assure qu’il gardera un œil sur nos enfants. J’ai souvent fait porter aux Chinois toutes les impolitesses du Japon. Je me trouve à l’instant plus cavalière et indisciplinée que cette nation réputée sans savoir-vivre. Je nage et lui rends la pareille.
Vendredi, les parents étrangers avaient déserté. Coup de sifflet et rappel à l’ordre d’un life guard depuis ma ligne d’eau. Je suis condamnée à barboter avec notre fille cadette.
Dimanche, je ne fus que peu surprise de ne rencontrer aucun expatrié. Trop de règles, trop de rigueur. Trop, trop, trop. « Je la trouve triste, cette piscine. J’aime voir les enfants sauter et plonger. » en remontant le parc, enroulée dans ma serviette. L. la savoure : « Ici au moins, on peut nager. »
Ce lundi matin au petit-déjeuner, je réalise que ce week-end, nous sommes passés à côté des nombreux festivals de l’été, Natsu Matsuri. Haussement d’épaules de notre fille aînée : « On s’en moque maman. On ira l’année prochaine. »
Ils étaient là-bas, tous les expatriés. Il est temps que je reprenne pied. Les nuits sans sommeil, la fatigue et la nervosité, la chaleur et l’humidité, les cafards dans la cuisine, la discipline, tout cela n’est pas vain. Nous sommes au Japon.
- Voir l’article Happy eve of All Hallows’ Day !
- Le coût de la piscine se calcule à l’heure : paiement à l’entrée pour une heure et à la sortie, pour un éventuel complément en fonction de la durée sur place.
- Alfred Gérard, un champenois à Yokohama, Huguette Guyard
- Voir Le Parisien, A Marseille, de nombreux enfants perdus sur les plages
Génial cette piscine militaire !!! Et les gradins c’est pour admirer quel spectacle ? Et l’eau est à combien? Et tu as quand même réussi à faire des photos intérieur/extérieur ??!! Tu braves tous les interdits, a new MPP 🙂 Bises
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Coucou,
Oui elle fait rêver et puis vous tombe dessus la rigueur militaire. C’est le bon mot.
Les gradins, c’est pour poser les serviettes et bronzer. L’eau est à 28 degrés : plutôt chaude. Et j’ai soudoyé des images à L. qui a eu le temps de prendre des photos avant de se faire rattraper par les « life guards », mais sans culpabilité (nous ne connaissions pas cette règle avant l’incident : « Sir ! Sir ! Sorry sir ! No picture ! No picture ! »).
J’espère que tu vas bien.
Bises et à bientôt de tes news
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très jolie piscine, tu fais bien d’en profiter. Pour les règles, on a une matronne qui régente le règlement de la piscine de notre résidence, je comprends qu’elle a dû passer par Motomachi ! Je suis très impressionnée que tu distingues les chinois des japonais (aucune malice dans cette remarque ; par les temps qui courent cela pourrait être mal interprété…). Là tu es acclimatée. Bises
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Cc,
Grâce à la piscine Motomachi, tu résous des énigmes et découvres des secrets bien gardés par ta matronne… Je vois que nous sommes logées à la même enseigne ce qui n’empêche pas d’en profiter une fois averties !
Bon, je ne me glorifie pas pour les différences entre Japonais et Chinois… il suffit de les écouter parler (en deux jours, c’est acquis) et d’appliquer quelques clichés… et se planter parfois.
En l’occurrence, j’ai dû demander à ce papa s’il était Japonais.
Mais j’aime bien ce jeu.
Bises et à très vite.
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Mais quelle rebelle cette mpp !
Tu m’as fait trop rire 🙂
Ils sont sacrément exigeants ces Japonais… pas très fun tout ça quand même…
Il ne te reste plus beaucoup de jours pour aller nager, profite 🙂
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Merci Nelly !!!
Tellement pas « fun » que pour la dernière semaine d’ouverture, qui reste chaude néanmoins (33 degrés aujourd’hui, ressentis 39 – je passe ma vie sur les sites de météo 😉 😉 ;-)), la piscine ferme à 17 h 00.
Grosse déception de nos filles car une petite heure de bain après l’école fait du bien.
Grosses bises et excellent we !
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Hello,
Et moi qui était contente au début de l’article en me disant « Chic, tu as trouvé un lieu bien agréable pour aller faire des longueurs », mais au final… quelle rigueur militaire!
Dommage, elle a l’air pourtant tellement belle!
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Oui, cette piscine est une vraie douche froide. Plus acceptable, une fois mis au pas du règlement. Quand même, le rêve n’est plus tout à fait un rêve. Tant pis ! La voilà fermée maintenant… Dans quelques mois, les canards y éliront domicile.
Grosses bises et à très bientôt
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