Cet article a du retard. Il est seize heures, lundi neuf septembre, quand je peux enfin prendre le stylo pour relater Faxai. Sujet de conversation les jours précédents.
La rue Motomachi restait insouciante tout le week-end pour sa food fair.
« Quand nous savons tous que le typhon sera sur nous cette nuit ! » Je remontais la falaise après avoir raccompagnée une amie avant que les transports ne s’arrêtent. A dix-neuf heures trente, le dernier train pour la direction de Shibuya (1).
Nous avons installé les matelas de nos filles dans notre chambre. Et puis, c’est tout.
Vers vingt-deux heures, la pluie s’est mise à tomber. Faxai arrivait. Avant d’éteindre, j’ai commencé les dix recommandations du Huffington Post : prévoir trois litres d’eau par jour par personne pour trois jours, remplir sa baignoire d’eau potable, renforcer les volets que nous n’avons pas.
Je préfère penser au blog et prépare quelques vues de la trajectoire du cyclone à l’instant « i », heureuse d’anticiper les mises à jour du lendemain. Et j’écoute la tempête qui monte. Je m’endors et sursaute tout aussitôt. Nos filles dorment. Je veille.
La maison entre dans l’aspirateur, les murs craquent, le plancher tremble, le lit aussi. Va-t’elle tenir ?
« Tu as peur ?
– Oui, répond L. Je me blottis contre lui et il demande :
– Quelle heure est-il ?
– Deux heures quarante-six.
– On devrait être dans le pic. Peut-être dans quinze minutes. La météo annonçait vers trois heures du matin. »
Je me rappelle les trois petits cochons et je pense à notre maison en bois. J’essaie de me rassurer avec Lafontaine. « C’est quoi déjà, cette fable du roseau ? » Alors, je récite mes premiers mots de japonais comme des mantras aussi puissants et incompréhensibles que des
« Supercalifragilisticexpialidocious » que je n’ai jamais retenus :
« Ohayogozaimasu (2), Konnichiwa (3), Konbanwa (4), Oyasuminsai (5),
Mata. » Je cherche la suite. « Mata quoi déjà ? » (6) « A demain » résiste.
Je descends dans le salon, soulève les rideaux et regarde la tempête. Je prends des photos avec le flash, sans le flash. C’est le mieux que je puisse obtenir. Ici, la situation est plus rassurante.
A sept heure trente, le réveil sonne. Les messages de l’école tombent : fermée pour la journée, comme pour de nombreux établissements du Kanto. Les transports ne sont plus opérationnels, trop de risques encore, peut-être, et une nuit d’insomnie pour des millions d’habitants, de toutes les façons.
Quelques heures de sommeil à gagner. A neuf heure trente, le jour reprend son cours, péniblement. L’école a envoyé des e-learnings « facultatifs ». « Ils sont fous ces enseignant ! » Les poubelles passent envers et contre tout.
Enfin, je sors le balai pour débarrasser les extérieurs jonchés de feuilles et de branches, de restes d’ordures qui ont volé, d’objets arrachés par le vent. Le temps, clément habituellement après un typhon, reste infernal : trente-six degrés, ressentis quarante et un. A midi, essorée, je finis par me ramasser. Je finirai à dix-sept heures, à la tombée de la nuit.
Notre voisine raconte l’avis d’évacuation reçu à cinq heures du matin.
« Sediment disaster warning information. » Nous avions éteint nos téléphones.
Un autre voisin :
« How are you? Everything is OK?
– My dryer is out of order. And you? I hope you don’t have any damage.
– The house is fine. »
Un peu plus haut, un homme harnaché en orange, casque sur la tête, inspecte le toit d’une habitation. Un collègue de L. a vu une partie de sa toiture arrachée.
Les informations recense la nuit : des pluies et des vents records à plus de deux cents kilomètres à l’heure, neuf-cent mille personnes privées d’électricité, trois morts, des blessés. (7)
Vers dix-sept heure trente, à la fraîche de trente-cinq degrés ressentis, je reprends mon balai, résolue à finir, notre place de parking, les trottoirs, et retrouver l’ordre. « Je ne sais quelle bête inconnue aurait l’idée de s’y nicher aussi. » Les moustiques en profitent et je gagne des mollets et des tibias d’un varicelleux. Maudits insectes !
Crème à l’hydrocortisone, douche, repas, préparation des bento, dîner. La vie semble reprendre son cours. Retour dans la cuisine. « Ce n’est pas vrai ! » De minuscules mouches ont franchi les interstices de la fenêtre. Une nouvelle guerre à déclarer. Fatiguée et lasse, je repense à l’apéritif d’un vendredi soir à chasser les cafards. L. s’amuse : « Mais tu sais bien qu’au Japon, nous vivons chez les cafards ma chérie. »
Je repense à nos génocides de fourmis quand par malheur nous oublions dans l’entrée un sac d’école contenant le moindre reste de goûter ou quand un placard, un tiroir, gardent quelques miettes de nourriture. Toute l’alimentation sans aucune exception dans des boîtes hermétiques et des heures de ménage.
« J’en ai marre de ce pays » m’échappe. J’essaie de me rattraper : « J’en ai marre de cette saison ! »
Bouvier (8), la mythologie japonaise (les dieux du Shinto) :
« – Pas de mortification : du « nettoyage », car il s’agit de refléter comme un miroir clair l’heureuse organisation des choses », « l’essence divine » du peuple japonais.
Kakuzo (9), la cérémonie du thé : « Une des qualités premières du maître de thé, c’est de savoir balayer, nettoyer et laver, car il y a vraiment de l’art dans la propreté et la netteté, et l’on ne doit pas s’attaquer à un objet ancien de métal avec l’ardeur inconsidérée d’une ménagère hollandaise. »
En cherchant ces passages dans la mémoire de mes lectures, je me gratte. Les bras, le cou, l’arrière de la tête. Je suis en train de développer un stress post quelque chose. Je suis en train de devenir dingue. Je regarde. Une fourmi sur l’épaule. Je l’abats compulsivement. « Elle sort d’où celle-là encore ? »
Ces hommes sont des poètes et me font rêver. Mais au fond, je sais d’où vient la propreté japonaise. La mythologie a bon dos, la philosophie zen également, l’esthétisme fin, la simplicité, la frugalité. Que sais-je encore ? La sublimation d’une lutte triviale et inégale contre le climat, les éléments qui se déchaînent et ces bestioles qui s’y épanouissent, elles.
- Voir l’article Petits démons de nos intérieurs
- « Good morning ! » Nos cours sont en anglais.
- « Hello. » Comprendre « Bonjour » l’après-midi, à partir de midi, voire onze heures.
- « Good evening. » « Bonsoir » à partir du coucher du soleil.
- « Good night. »
- « Mata ashita » : « A demain »
- Voir les articles The Japan Times et le HuffPost (article en français)
- Chronique japonaise, Nicolas Bouvier. Editions Payot & Rivages, Paris, 2001, pages 21 et page 53.
- Le livre du thé, Okakura Kakuzo. Editions La République des Lettres, Paris, 2015.
Contente que le cyclone soit passé, que vous alliez bien et que la maison ai tenu… Cela doit être très stressant et impressionnant.
Courage pour la chasse aux petites bêtes 🙂
Je t’embrasse
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Merci pour ton message Nelly ! J’ai un peu de retard pour te souhaiter la bonne reprise du lundi 😉 Courage à toi !
De mon côté, tous les aérosols sont sortis et je les mets bien en vue, tels des miradors… C’est censé dissuader toute intrusion… En tous les cas, les bêtes sont prévenues 😉
Grosses bises et à bientôt !!!
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Nous avons eu peu d’échos de ce typhon en France, englués par les sujets marronniers de la rentrée et c’est Dorian aux Bahamas qui pris le dessus… Je ne pensais pas que vous aviez vécu une telle tempête de l’autre côté de la planète. Cela ne fait pas trop envie. Surtout toutes ces bêtes rampantes… J’espère qu’elles disparaissent quand les températures baissent. Au moins, ta maison en bois craquent mais ne plient pas. C’est une bonne nouvelle ! Et ne t’intoxique pas avec tes aérosols. Ici on dit araignée du soir, espoir. Chez toi ça devient cafard du soir, espoir ! Bonne chasse malgré tout.
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Bonjour Cath,
Merci pour ton long message qui me fait très plaisir.
J’ai appris avec toi : « sujet marronnier ». Je ne connaissais pas. Et je partage finalement, quand je regarde les info. en replay. Dorian a été largement plus destructeur. Force 5 d’après ce que j’ai compris. Entre 3 et 4 ici. Mais je ne tiens pas à vivre davantage. Faxai était déjà bien assez.
Oui, les aérosols sont un problème… J’essaie un maximum de faire de la prévention. Chaque bête a son système. Les fourmis : tout ranger et tout laver. Les araignées : je les laisse vivre jusqu’à une certaine taille et quand elles deviennent bien grasses, journée aspirateur. Les mini mouches volantes… Là, pas le choix. Gazage de la fenêtre… A l’extérieur, pour un moindre mal. Les cafards non plus. Ils sont trop gros pour les écraser :-(( Mais j’ai installé quelques pièges dans quelques endroits stratégiques… Et pour le reste, l’arrivée de l’automne devrait aider. Nous avons tous hâte ici.
Grosses bises et bonne continuation !
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