Sankei-en me plaît et j’y suis retournée quelques fois (1), pas assez à mon goût. Face à l’étendue d’eau qui borde « Rinshunkaku », une des maisons les plus raffinées du parc, une amie lettrée avait déclaré : « C’est ici qu’il faut venir admirer la pleine lune. Les Japonais ne posent pas les yeux sur elle, ils préfèrent son reflet dans l’eau. » Un pourquoi honnête, certains penseront
« naïf », voire « vulgaire », tombe. « Parce que c’est poétique » semble évident. Poétique, poétique, un cabas fourre-tout pour mon esprit empêtré et dont je me méfie. Et puis chez nous, on se plaint à la pleine lune, et on ferme un peu plus les rideaux.
Les saisons ont passé. Je suis passée à côté des Natsu Matsuri (2) et depuis, je garde l’oeil sur le calendrier. A Sankei-en, du douze au seize septembre, les « harvest moon night viewing ». Le jardin ferme exceptionnellement ses portes à vingt et une heures et propose des concerts : jeudi, biwa, vendredi, sax et piano, samedi, gagaku, dimanche, koto, lundi, gamelan bali. Je connais le sax et le piano. Et le koto car il est enseigné à l’école de nos filles (3) où j’ai pu assister à quelques morceaux. Une harpe japonaise, treize cordes tendues sur une longue caisse de résonance en bois de paulownia (4). Pour le reste.
Dimanche, la famille est disposée. Pas la lune, qui se cache derrière de gras nuages depuis vendredi soir. Pour la poésie, le koto et la beauté du parc la nuit, le bassin à lotus, puis à nénuphars. Puis les chemins le long d’un vaste étang, les ponts qui serpentent sous les arbres et se cachent. Un héron, des herbes, un autel de-ci de-là, des bancs cachés et quelques pierres.
Au temple du Bouddha moche (5), une estrade rouge, quelques banquettes latérales déjà toutes occupées trente minutes avant le début du concert. Il reste l’autre côté de la scène, à même le sol, sur des cailloux harceleurs. Des agents de sécurité en uniforme, aidés de quelques barrières montées pour l’occasion et le règlement placardé sur un cône, assurent la fluidité de l’événement avec le sourire.
Les cigales chantent encore, un léger vent rafraîchit l’air encore saturé, quelques gouttes de pluie tombent et la musique s’élève en kimono colorés. Un festival d’été finissant, intime, combien sommes-nous ? Une centaine, retraités, couples, jeunes enfants, rares touristes, familial, sans prétention, à écouter les koto, parfois accompagnés de biwa (6), d’un violon ou de chants traditionnels. Je regarde au-dessus de nos têtes, éclairée sur sa colline, la vieille pagode du XVème siècle, venue des environs de Kyoto. C’est par là que mon âme voyage.
La fatigue de nos filles et les pierres sous nos fesses auront raison de la musique et nous rendons nos places à l’entracte. Cela nous suffisait pour ce week-end prolongé (7).
Je ne sais où l’écriture de cet article me mène. D’abord dans quelques lectures, puis quelques recherches :
« V
Le songe d’une nuit d’automne
Heïan-Kyo (Kyoto)
mille après le Christ
[…] Dans la littérature de cette époque on n’entend jamais parler du soleil, ce vantard, cet indiscret. La lune est souveraine, elle dispose bien les cœurs et, lorsqu’elle est pleine, augmente de moitié les chances d’un soupirant. La regarder monter au-dessus d’un décor bien choisi (Tsuki-mi) est – aujourd’hui encore – un des passe-temps favoris de septembre. »
Chronique japonaise, Nicolas Bouvier
Tsukimi, « la contemplation de la lune », le pendant du hanami, dont je n’ai jamais parlé, « regarder les fleurs », notamment les sakura, synonyme aussi de pique-niques dans les parcs, à admirer les fleurs de cerisiers (et souvent boire, beaucoup, d’alcool). A trop vouloir chasser les clichés et les déjà vus, on en vient à produire des omissions d’âne. Alors, on devient pédant de peur de n’être bête : quatorze mots pour décrire les phases de la lune en japonais. Mugetsu, « pas de lune » le soir de tsukimi. Ugetsu, « lune derrière la pluie ».
J’essaie de me rappeler les odeurs de notre vallée l’automne. Il lui manque Tsukimi ainsi qu’à nos mœurs raffinés. Y venir comme à un rendez-vous galant. Se réunir dans le parc de la mairie le soir, au bord de l’eau, l’unique îlot à photos de noce, une statue qui s’ennuie et le petit pont qui y mène. S’asseoir dans l’herbe, apporter une couverture, quelques chaises du Luxembourg, pliantes, est-ce possible ? peut-être des biscuits, quelques boissons, une musique lyrique s’étire dans les airs, comme l’été, et contempler les reflets de la lune. Oui mais, c’est elle qui fait faux bon ce soir-là et les violons, les hautbois, les trompettes et tout le tralala, nous les connaissons déjà. Pas pour les plaisirs de rien dans les jardins. Le quinze septembre le soir, il fait déjà trop froid, les récoltes sont ramassées depuis longtemps. Et les temples, les kimonos, il n’y en a pas. Chez nous, les monuments anciens ne voyagent guère. Et la tradition, c’est pour le folklore. Et le folklore, c’est populaire, ce n’est pas pour les poètes. Bonsoir.
- Voir les articles (1) Sankei-en et L’usage du monde.
- Natsu Matsuri = festivals d’été. Voir l’article Piscine sous haute surveillance.
- L’éducation musicale au Japon, un modèle à suivre ? France musique
- Deux compositions : Ichimen moegiiro, Yoshimura, Hiroshi et Esoragoto, Sawai, Hikaru.
- Voir l’article Sankei-en. Le temple Tomyoji.
- Biwa : instrument de musique à cordes traditionnel japonais. C’est un luth à manche court. Il est l’instrument de la déesse Benzaiten : voir l’article Enoshima, la douce.
- Troisième lundi de septembre : fête de Respect pour les personnes âgées.
Quel superbe week-end que vous avez dû passer !
C’est tout simplement magnifique. Les photos donnent envie de prendre le premier avion.
Un grand grand merci pour le partage des musiques dont je suis particulièrement fan.
Au plaisir découvrir vos prochaines trouvailles.
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Coucou,
Et nous, nous savons quel avion tu vas prendre 😉
Heureuse que cette musique te plaise. Je trouve qu’elle remue l’âme et la fait voyager.
Alors, je continue mes recherches pour partager de nouvelles découvertes.
Grosses bises et à bientôt
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Ce texte a une nouvelle ambiance, une nouvelle odeur, une nouvelle texture… Est-ce l’effet de la lune ? Est-ce ces nouveaux reflets qui transforment ?
Calme, contemplatif… Un peu nostalgique… Un peu la tristesse nostalgique des chants portugais…
Merci pour ce très beau texte.
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