Nous sommes donc partis dimanche, sous la pluie et un ciel gris et froid. Il ne se voyait pas un chat à vouloir mettre le nez dehors.
Nous sommes de même arrivés sous la pluie. Les nuages accrochaient les montagnes. Plus bas, ils se changeaient en flocons épars qui se maintenaient dans les pins. Mon appareil photo peinait à régler la mise au point sur la brume du lac Kawaguchiko. Seules nos filles s’ébrouaient sous l’eau. Le Fuji ne se laissait pas deviner, devant ou derrière, à gauche ou à droite, ni les lieux. La journée du lendemain s’annonçait radieuse, il ne perdait rien pour attendre. Nous respirons un air pur, sec malgré la pluie, vivifiant. Un mauvais temps à la montagne que nous nous sentions heureux de retrouver.
La maison, il restait la maison à découvrir. Construite en bois, bleue, chaude – il se trouve un chauffage dans la cuisine – spacieuse et propre. Il est malaisé d’accompagner l’école à la maison le matin, les cours de français du CNED le soir, occuper ses filles, vivre un séjour et écrire en même temps. J’aurais voulu raconter beaucoup cette maison au lecteur. Dès le soir, il devint certain que nous savions l’apprécier en raison d’expériences antérieures plus ou moins malheureuses. Celles-ci nous valurent autant de retours anticipés que nous avons mis sur le dos d’abord du froid, puis des typhons et enfin de pluies torrentielles.
La maison, rénovée récemment, a conservé son style japonais traditionnel, avec les quelques agréments occidentaux indispensables aux étrangers, passées les quelques heures d’exclamations enthousiastes que procure tout exotisme au goût du jour. Des lits, des vrais, pour les parents à tout le moins. Le futon passe pour le pittoresque d’une nuit au prix de membres moulus, quelques-unes s’il est épais et de bonne qualité, mais comment le prédire à l’avance. L’oreiller deux en un, cosse de sarrasin d’un côté, garnissage européen de l’autre. Malgré les bienfaits revendiqués du premier, une nuit blanche reste une nuit blanche.
Je cours après le temps et je note ce qui me plaît : les rideaux coulissants en bois et papier washi sur des rails en bois, les cloisons coulissantes, les portes coulissantes à l’entrée de chaque pièce et les noren, rideaux en tissu fendu accrochés au-dessus d’elles, et les fenêtres coulissantes aux portes coulissantes. Nous nous baissons et faisons glisser la porte. Des gestes d’ici. L’odeur du cèdre au sol et de la paille des tatamis, des odeurs d’ici et des matériaux naturels.
Les rideaux coulissants en bois et papier washi filtrent la lumière et je trouve toujours les maisons japonaises trop sombres à mon goût. S’ils ne sont plus guère utilisés, des films sont ajoutés aux vitres, ou les carreaux épaissis, ou les fenêtres bardées de cloisons extérieures en bois, ou de stores, ou de voilages épais. Peut-être que rien de l’intérieur ne doit filtrer à l’extérieur.
Il importe peu, la maison de notre retraite se révèle rare dans le cas d’une location au Japon, notre expérience me dicte de l’écrire ainsi. Le lecteur prendra ou pas ce morceau de vie, il reste libre et pense ce que bon lui chante.
Quand L. est parti vers six heures trente ce lundi matin, après un petit-déjeuner frugal que j’avais réussi à préparer à l’aide d’un grille-pain apprivoisé aussi vite qu’il faut de syllabes pour le prononcer, L. le visage fermé que je n’ai vu s’ouvrir qu’une fois la voiture démarrée – l’effet de la pelle à neige en évidence contre les murs de la maison devient redoutable à côté d’une Lafesta vieille de plus de dix ans -, deux heures de route l’attendait pour rejoindre le bureau, j’ai cru que cette maison était la nôtre, celle d’un quotidien, même intermittent, dans les montagnes. En pyjama et l’air ébouriffé comme tous les matins, je l’ai aidé à sortir en marche arrière sur la route, pas de voiture à droite, pas de voiture à gauche et l’ai salué : « Bonne route ! » L. encore endormi, s’est calé à droite. J’ai gesticulé de grands signes des bras dans son rétroviseur : « À gauche ! A gauche ! » Le charme était rompu. Mais face à moi dans la rue, face à la fenêtre de nos chambres, face au tatami et à la table basse du salon, le Mont Fuji enneigé sous un ciel bleu et encore limpide dominait de sa grâce.
Votre commentaire