Il est difficile de réussir un préambule à cet article. Ainsi je commence : lundi, nous décidâmes de découvrir la lac Kawaguchiko, nos deux filles et moi-même, sans les recommandations de l’office de tourisme, sans mon Lonely Planet, oublié à la maison, une redite de notre voyage à Kyoto. Il restait toujours Internet, Google, les sites officiels, les likes des voyageurs, leurs commentaires et leurs blogs. Il me surprit soudain de constater qu’à la rubrique « lac Kawaguchiko images », il s’avérait impossible de se figurer l’endroit. Le Fuji vole la vedette, « on » vient voir le Fuji : le Fuji et son reflet dans le lac, le Fuji et la brume, la neige, les cerisiers roses, les érables rouges, le Fuji et la pagode Chureito, image léchée des publicités à rêves.
Nombreux sont les touristes qui partent une journée depuis Tokyo pour immortaliser la montagne sacrée, un incontournable d’un voyage au Japon. Le visiteur trouve des recommandations sur la toile : partir tôt et revenir tard, Fuji se révèle « un vrai aimant à nuage » (1), ne partir « que si la météo annonce grand soleil et ciel bleu », au risque d’un déception funeste.
« On » vous explique comment l’admirer : le vélo pour trouver le meilleur angle, le bus pour les fainéants ou les pressés, le téléphérique au Mont Kachi Kachi pour la vue panoramique, le bateau pour la prise depuis le lac. Du côté des embarcations, il existe les jolies barques, le bateau touristique de masse, somme toute élégant, les pédalos cygne, chers paraît-il, et kitsch, mais exotiques, le bateau sport « un peu beauf » (2). Moqueries, moqueries faciles. Ces informations demeurent utiles au voyageur d’un jour et moi aussi, le Mont Fuji m’attire comme un aimant. Il domine là, si haut, si puissant, si élégant.
J’aurais pu suivre la route sept cent dix le long du lac, la circulation restait calme. Je voulais une piste cyclable protégée, une promenade aménagée, un chemin. Je les ai cherchés lundi, tronçon après tronçon, demi-tour après demi-tour, les yeux rivés sur le bord du lac, sans indications ou invisibles pour l’étranger. Promenade hachée et chaotique, entrecoupée de pauses dans les parcs qu’elle traversait. Nos filles aiment encore jouer au bord de l’eau, sur les cailloux, et mettre les chaussures par inadvertance dans le lac, se rouler dans l’herbe ou courir loin, loin, loin, au-delà de ma vue. Je m’assois et je les regarde, heureuse de leur joie d’enfant retrouvée. Elle m’emplit à mon tour.
Madame Kawaii se transforme, elle devient, une fois n’est pas coutume, guide touristique (cette carte existe sans doute à l’endroit où elle n’est pas encore allée). Il s’agit de cette information qu’elle veut transmettre. Pas décrire l’après-midi au grand air, le pique-nique au parc Yagizaki, l’arrêt au sanctuaire de Fuji Ômuro Sengen, vide, où, d’après la toile, « on » prie une déesse pour une bonne rencontre, et beaucoup d’autres choses. Non, je ne raconterai pas notre fille aînée, qui à la faveur des esprits, avoua ici vouloir rentrer, notre promenade à peine commencée. Notre fille cadette avoua elle, préférer visiter les temples de la région plutôt que remettre les pieds sur les pédales. A la sortie du temple, nous rencontrâmes la déesse. Elle envoya un couple, accompagné d’un garçon deux fois plus petit que nos filles, sur un vélo de course flambant neuf trop grand pour lui. L’affaire était dans le sac. J’appris qu’il valait mieux prier avant d’entreprendre un voyage.
Je ne vous dirai pas non plus le retour, la fatigue, les mauvaises humeurs dans les côtes, les chemins pavés, perdus et solitaires, appelant un romantisme sans manière, notre dernière halte au soleil, allongées dans l’herbe, les bras en croix sous la tête, à se faire chauffer la joue, croiser quelques rares promeneurs, admirer les couleurs, le jaune des herbes sur le bleu, un héron, peut-être, noir sur les rochers, les cygnes, les vrais, les montagnes, la lumière, mardi le temps serait exécrable. Allez ! Nous rentrons. Le repère au temple de la déesse providentielle, montons en ligne droite pendant huit cent mètres, et au terrain de tennis, tournons à droite les derniers dix mètres ! Comme nous habitons si proches du lac ! Non, ce n’est pas cela que je veux raconter.
Je veux dire au voyageur que depuis le parc Yagizaki et jusqu’à Nahama, il est possible de prendre un chemin le long du lac, entrecoupé de portions de route qui restent brèves. Une première, du parc jusqu’à une centaine de mètres avant le temple. Puis du temple, jusqu’à la toute fin du parc Koumi. A cet endroit, sortir, prendre la route, et juste après l’intersection, reprendre le chemin qui s’arrête à environ un kilomètre, un kilomètre et demi avant Nahama. Ce voyageur cherchera encore un peu son chemin, mais moins que moi.
Se trouve-t’il un intérêt à cet itinéraire ? Peu sans doute. Si peut-être. Le lac Kawaguchiko demeure un merveilleux endroit pour admirer le Fuji. L’office de tourisme reste utile au visiteur pressé. Les dieux et les déesses apportent une aide souvent sous-estimée au voyageur. Grâce à mes chemins, je vois le Fuji, j’apprécie le lac et toutes les montagnes, et je respire les lieux, navigue et je prends mon temps, un peu comme une fille du pays y retournerait, après des années d’absence. Et cela me fait du bien. Et le coronavirus nous paraît très loin. Nous l’avons oublié.
- Blog Une Maud qui voyage
- Blog Chroniques japonaises
Merci pour cette petite ballade, qui me fait oublier à moi aussi l’espace de quelques minutes, le coronavirus et toutes les nouvelles mesures qui arrivent…
Profitez profitez profitez !!
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Nelly pour ces mots. Je suis heureuse de partager mes évasions et heureuse que le lecteur s’échappe un peu, lui aussi. J’ai appris pour les nouvelles mesures en France. Si parmi elles, tu as l’occasion de pouvoir t’échapper également (la montagne ?), je t’invite à y penser. Cela fait un bien fou. Et le grand air permet (donne l’illusion ?) de combattre activement le virus en stimulant positivement l’organisme et le moral. Bon courage. Toutes mes pensées t’accompagnent. Bises.
J’aimeAimé par 1 personne