Cette nuit-là, je dormis mal, aussi mal que la veille d’un examen, un entretien ou un avion aux aurores le lendemain. La routine était connue : j’avalai les gouttes le matin puis le chewing-gum à l’heure de partir (1). Au moment où je publie cet article, deux semaines se sont écoulées. De nombreux détails, minces événements ou émotions passagères, se sont effacés de ma mémoire. Cependant, je me rappelle avoir demandé à notre aînée de s’asseoir à l’avant et de m’encourager très souvent. Nos filles voulaient la plage. Elles terminèrent vite leurs activités scolaires, enchaînèrent avec le français, ensuite les préparatifs du pique-nique, et se montrèrent un soutien sans faille. Je réussis tous les passages de notre itinéraire, quitter le quartier, sortir de la ville par les grands axes, s’engouffrer sur l’autoroute, chercher la route à Hayama. La circulation se montra fluide au cours de ces trente-trois kilomètres. La météo n’avait pas menti .
Je ne détiens aucune histoire à Hayama. Nous avons dû la connaître par le bouche à oreille des collègues de L. « Où se trouve le meilleur spot ? » Le train ne roule pas jusque-là, il faut terminer en bus. Les montagnes boisées empêchent les extensions urbaines. Lorsque l’empereur Meiji s’y fit construire une villa à la fin du XIXe siècle, une clique de résidences secondaires suivit. Le sable est presque jaune, pas ce noir éruptif. Non, je ne garde aucune histoire à Hayama, sauf la plage et la mer, et notre étonnement de pouvoir nous y baigner dès le cinq mai l’année dernière. Nous y retournâmes le dimanche d’après, le douze, pour la fête des mères. Je l’avais oublié. Enfin deux semaines plus tard, le vingt-six mai. Il fit trop chaud. Ce fut la dernière baignade de l’année. En cherchant dans nos photos, je réalisai que nous y allâmes la première fois le treize avril. Il m’apparaît que cette excursion inaugura notre voiture achetée à nos précédents voisins (2). Je l’oubliais aussi. Nous aperçûmes des balles de golfs dans des mers retranchées. Je ne repérai pourtant aucun green sur Google map. Un mystère.
Cette année, en raison du Covid, la majorité des parkings demeure fermé. Nous laissâmes donc notre plage habituelle située à côté de la villa impériale et découvrîmes la plage Morito, plus centrale, où un parking reste ouvert. A l’horizon, Enoshima, et par temps clair, le Fuji. Sur un côté, un torii rouge planté dans les rochers. Plus près, un sanctuaire shinto face à la baie. Je l’explorai un jour de vent à décorner les bœufs. Cette journée-là, je compris un peu de poésie à l’aide d’une amie et pus récupérer le ressort nécessaire afin de quitter mon lit (3). Grâce au réseau, nous avions repéré un restaurant ouvert avec une terrasse vide et des pizzas le double du prix habituel. Malgré les bourrasques et le confinement volontaire, nous avions célébré le projet de fin de primaire de notre grande.
Ce lundi de deuxième victoire (4), des jeunes garçons de Hayama jouèrent l’après-midi sur la jetée. Ils sautaient et plongeaient à tour de rôle quand nous arrivâmes. De retour à notre voiture, je dégustai une glace tout en les regardant oublier de se lasser. Je me remémorai les histoires de gosses de mon père dans la rivière les beaux jours. Certaines choses ne changent pas. Le coffre de la Lafesta ouvert, nos filles s’y étaient installées, claquettes aux pieds, vêtements d’été, cheveux mouillés, des traces de sel sur le visage, fatiguées. Elles aussi profitaient de leur glace. J’avais déclaré : « Tout ne peut pas rester négatif avec le Covid ». J’espérai qu’elles comprendraient.
J’avais emmené quelques affaires afin de lire et écrire. Je ne réussis qu’à m’allonger sur ma serviette et savourer la brise et le soleil. Je pensai aux Vacances de Monsieur Hulot et tentai d’écouter les bruits alentours. Les vagues à un intervalle si long quand on les attend, quelques voix japonaises presque imperceptibles, le claquement d’une voile de planche dans le vent, nos filles qui construisaient des bonhommes de sable, il s’en tient toujours un nommé Robert, leurs récits imaginaires. Elles couraient des allers et retours vers la mer avec un maigre seau. Mon corps sembla d’abord incommodé par ce premier déshabillage de l’année, la peau blanche, plus lasse, tentant d’apprivoiser l’air, l’allure incertaine dans l’eau fraîche, les gestes inconfortables sur le sable. Était-ce les effets d’un hiver supplémentaire ? Ou ceux d’une saison de Covid ? Ou bien ceux d’une liberté dont j’avais usé malgré les recommandations d’un pays qui n’est pas
le mien ? J’avais traversé la plage avec nos deux filles et nos sacs, l’assurance bombée. L. ne nous accompagnait pas. Je portai seule la responsabilité. Les rares personnes croisées, semblaient me jauger, la conscience partagée. « Tu n’es pas d’ici, disaient-ils. Tu grimpes par dessus les recommandations. Remarque, nous aussi. Tu es étrangère, c’est vrai. Mais tu es des nôtres aussi. »
Il fut l’heure de quitter la douceur de cet après-midi dont je ne retins pas la date. J’avalai deux chewing-gums entre la glace et pris l’autoroute jusqu’à la maison. Nous l’atteindrions en quarante minutes. J’envoyai au diable les douze euros d’un tronçon urbain d’à peine une dizaine de kilomètres. J’affronterais les boulevards à la prochaine échappée. Notre aînée pensa à conclure notre excursion : « Tu as remarqué maman ?
– Non. Quoi ?
– Personne ne t’a klaxonnée.
– Ah oui ? Tiens.
– Allez ! On applaudit tous maman. »
Ainsi mon histoire se termine. Notre cadette improvisa la statue de la liberté le lendemain (5).
Pourtant, la plus vive impression que je garde de Hayama, demeure ce cinq mai, il y a un an. J’écoutais les douches de nos filles ce dimanche soir-là. En attendant la mienne, je rinçais les maillots, secouais les serviettes, vidais les seau, rangeais les sacs de plage. Et je devais me pincer parfois : « Oui. Oui. La plage de tes vacances, cette fois, c’est chez toi. »
- Voir l’article On the road again
- Voir l’article Vous ne savez pas la dernière ?
- Voir l’article Stay home week
- Voir l’article « V » de Victoire
- Voir l’article Dix petites croix
J’ai retrouvé l’ambiance de nos incursions normandes…
Bises
Jean-Luc
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Merci Jean-Luc… Je m’en doutais un peu… Je trouve que certaines ambiances ne changent pas et d’une certaine manière, cela fait du bien.
J’espère que toute la famille va bien et que vous commencez à souffler après ces semaines de déconfinement.
Grosses bises à tous !
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Bravo pour la conduite !
C’est en pratiquant que l’on prend confiance.
Merci pour cette excursion à la plage.
Ca fait du bien un peu d’air marin.
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Merci Stéphanie pour ta fidélité et ta présence !
Le mercredi, c’est plage ! J’emmène deux copines d’Ele. aujourd’hui et une maman… Je progresse, je progresse 🙂
Bises
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