Jamais je ne racontai Kamakura, entre Enoshima et Hayama (1). Compter trente kilomètres depuis Yokohama, quarante-cinq minutes en train porte-à-porte. Ou je l’ai oublié. Sans doute parce qu’elle me paraissait trop touffue ou que, premier pas, j’échouai à me la figurer. Mais grâce à Abe, j’envoie paître les scrupules (2). Je verrai bien, je finirai peut-être par le remercier à la fin de l’été. On l’appelle « La petite Kyōto », c’est ce que je lus une fois ou deux. Le premier shōgun (3) de l’histoire du Japon y détint le pouvoir. Ceux à sa suite le gardèrent une cent cinquantaine d’années. Je ne sais où il partit plus tard et entre quelles mains. Il subsiste une collection de temples, l’étendue de Kyōto en moins, la plage et la mer en plus, des collines et des forêts.
J’y retournai jeudi en compagnie d’amies dont plusieurs disaient leurs aurevoirs. Nous nous retrouvâmes au temple Meigetsu-in. Lui on l’appelle
le « temple aux hortensias ». Passée la floraison des pruniers à la fin de l’hiver, celle des cerisiers au début du printemps (4), ils battent leur plein à la saison des pluies et annoncent l’été. Hormis les fleurs, le temple possède quelques points d’intérêt : une « fenêtre de la révélation » (5), suis passée à côté, un petit jardin de mousses, idem, un joli pont en bois, je l’ai, pas sûre de l’avoir traversé, un vieux puits et une forêt de bambous, je les ai, un jardin sec, je passe le nom japonais, je l’ai, et un mince cours d’eau que l’on suivrait le long de la promenade, je l’ai, plus ou moins. Je restai absorbée par les hortensias, les bleus surtout, car en recevant les photos de mes amies, j’aperçus des fuchsia, des blancs bordés de violet, des violets.
Un déjeuner de tempura avalé (6), nous filâmes par les collines et les forêts rejoindre le Daibutsu, grand Bouddha du XIIIe siècle et de 13,5 mètres qui résista aux tsunami et autres tremblements de terre. Encore dans la rue, nous nous arrêtâmes à une sorte de bonimenteur. Il s’estimait la preuve vivante de ses boules de cèdre antimites offrant le pouvoir d’une vie sans maladie jusqu’à 75 ans à qui les lui achetait. Je proposai une discussion avec Pr Raoult. Je fis flop. Au début du chemin, j’admirai la réplique d’une statuette Jizô (7) incrustée dans un cône de signalisation. Je repensai à celui du Fuji aux chutes (8) et me demandai s’il n’était pas temps d’entamer une collection. Nous gagnâmes un sanctuaire shinto dont Google map ne veut pas donner le nom en rōmaji (9). Je payai 100 yen pour casser de la céramique sur une grosse pierre, chasser les esprits malins et regagner des énergies vitales empêchées par eux. Je souris à une tortue et des poissons et photographiai des prières en forme de cœur. Guère plus loin, nous saluâmes la statue du premier shōgun de Kamakura, pas l’air commode. Fîmes un détour par un second sanctuaire shinto, Zeniarai Benten, dont la source dans une grotte multiplierait les billets qui s’y voient lavés. Suite à ce grand ménage, nous installâmes dans un café au milieu de nulle part (10), espérant laisser passer la pluie. Je formule les événements de cette manière dans l’espoir de donner une bonne conscience à notre groupe. En réalité, on pourrait y déguster un excellent tiramisu. Il n’était pas sur la carte jeudi.
Derrière le Daibutsu, nous imaginions visiter le temple Hase, deuxième place à hortensias à Kamakura (11). Nous en avions plein les bottes, il pleuvait, nous reluquions les boutiques. Je le visitai l’année dernière à la même époque, et avant en janvier. Nous atteignîmes la gare à pied. Je repérai les rues commerçantes et l’allée bordée de lanternes qui mène au plus grand sanctuaire shinto de Kamakura. Je ne le connais pas mais L. l’avait déjà mentionné (12). Il me sembla que je bouclais la boucle.
J’achetai du miel au Yuzu (13), découvris Kaldi, une chaîne de produits d’importation à prix acceptables. Choisis des Gerblé, des spéculoos, un mélange de poivres au moulin, de la moutarde, traitai Union à Motomachi de voleurs, dis au revoir, montai dans le train. Discutai par WhatsApp avec une amie, descendis du train in extremis à la gare centrale de Yokohama, arrivai à Motomachi, à son parc par les escaliers, remarquai les buissons d’hortensias à deux pas de chez moi, voulus les photographier, engueulai deux corbeaux revêches sur un arbre perché, « Et ! Oh ! Ce n’est pas chez vous ici. », pris une photo. A cet instant le plus teigneux s’élança en rase motte au-dessus de ma tête, se planta à ma hauteur et me toisa. J’eus peur, l’engueulai plus fort, n’eut plus aucune pitié pour son frère de la fable. « Bien fait pour ton
clacos ! » L’affreux s’enfuit à la vue d’un gros caniche roux en laisse habillé d’une combinaison rouge des années 80.
Il fut ainsi décidé, malgré les protestations de L. et de nos filles, j’allai planter des hortensias dans notre jardinière vide depuis dix-huit mois. Et pas plus tard que samedi, ou dimanche. Je le crus. Maudits corbeaux !
« On a fait combien de kilomètres Isa ?
– Quinze.
– Pensez à vos étirement les filles ! »
- Voir les articles Enoshima, la douce et Coquillages et crustacés
- Voir l’article Aller simple
- Shōgun : « généralissime ». Le shogunat de Kamakura s’étend de 1185 à 1333 et constitue la première partie du « Moyen Âge » de l’histoire japonaise. Il représente la naissance du premier gouvernement militaire au Japon à prendre le dessus sur la cour impériale de Kyōto.
- Voir les articles Ume matsuri et Sakura
- Satori no mado
- Tempura : plat de friture japonais, originaire du Portugal.
- Rōmaji : désigne les caractères de l’alphabet latin utilisés dans le cadre de l’écriture japonaise.
- Voir l’article Les chutes de Shiraito
- Les statuettes Jizô sont avant toutes choses la représentation d’un bouddha, Boddhisatva Ksitigarbha, plus couramment dénommé Jizô Bosatsu au Japon. Il est dédié en particulier à la protection des enfants et des voyageurs.
- Cafe Terrace Itsuki Garden
- Voir Les hortensias au Japon
- L’allée marchande Komachi dôri, et l’avenue Wakanomiya Oji dôri et son allée centrale bordée de lanternes, la Dankazura. Sanctuaire Hachiman-gû.
- Yuzu : agrume originaire d’Asie qui ressemble à un petit pamplemousse.
Superbe promenade au pays de l’Hydrangea macrophylla, appelé Hortensia (féminin de l’adjectif latin hortensius, « de jardin »1) dans la langue commune, effectivement originaire du Japon.
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Coucou et merci pour ces informations de botanique… J’avais bien lu que l’Hortensia était originaire du Japon mais je n’avais pas entamé les recherches pour le vérifier. Alors cet article est donc très japonais 🙂
Je pense souvent à toi et je le dis au risque de me répéter souvent. Les jardiniers et les photographes s’épanouissent également ici 🙂
Belle continuation et bises à tous
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J’attends avec impatience la photo de la Jardinière avec l’ ou les hortensias… Ce dimanche j’ai vu sur un balcon grand comme une bassine où était juché un hortensia…. Blanc Pas de corbeau ni de camembert
L’envie d’en mettre un dans une jardinière m’a traversée.
Magnifique ces allées fleuries.
A demain Annie
Le lun. 22 juin 2020 à 11:24, Kawaii or not kawaii ? a écrit :
> kawaiornotkawai posted: « Jamais je ne racontai Kamakura, entre Enoshima et > Hayama (1). Compter trente kilomètres depuis Yokohama, quarante-cinq > minutes en train porte-à-porte. Ou je l’ai oublié. Sans doute parce qu’elle > me paraissait trop touffue ou que, premier pas, j’échouai à » >
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Bonjour Annie,
Merci pour votre mot sur Kawaii.
Vous avez visé juste… le passage à l’action s’impose. Mais vous allez rire… Je n’ai aucun outil de jardinage. Notre aînée m’a confié (de son grand-père) qu’il fallait remuer la terre. Heureusement, j’ai le râteau et la pelle de plage de nos filles 🙂
Une aventure en soi.
Belle nuit et à aujourd’hui avec joie.
Je vous embrasse
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Coucou ! Mais quel bel endroit … Merci pour ce voyage immobile, tes photos sont très jolies.
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Merci beaucoup Nuancia ! Ton message me fait très plaisir et je suis heureuse de partager mes photos 🙂
Belle journée et à bientôt !
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Merci pour cette belle balade.
Les hortensias sont magnifiques.
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Tu aurais adoré !!!
Est-il toujours temps d’en planter chez toi ? Comment va ta terrasse ? J’espère que tu continues à en profiter, surtout en ce moment 🙂
Grosses bises
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Superbes hortensias, dommage que le temps ne soit pas au RV !
J’ai bien rigolé à la mention du Pr Raout !! 🤣
On attend la photo de ta jardinière ! 🌼
Je t’embrasse 😘
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Oui, les hortensias sont japonais et le rendent bien à leur terre 🙂
Je n’ai pas encore fait la photo… l’hortensia n’est pas planté… mais acheté… vendredi dernier… Ouf ! Il était temps ! C’était le dernier… Une expat en partance se débarrassait d’un peu de terreau que j’ai récupéré. J’y ai vu un signe… Je le planterai à notre retour… J’espère qu’il ne souffrira pas avec notre absence.
Je t’embrasse aussi 🙂
PS : Supers les emoji (mon correcteur d’orthographe propose « mojito »… Ouuu que j’en partagerais bien un avec toi ;-))
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Oh oui !! un mojito !! c’est un signe 🍹
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C’est ce que je me disais aussi. Allez ! On se fait ça à notre prochaine rencontre… Et comme les choses sont devenues incertaines, je dirai même deux pour prendre de l’avance 😉 Kanpai !
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et comme jamais 2 sans 3…. 🤣
Kanpai !
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Trop bon ça !!! Allez ! Trois mojito… Tu vois où les emoji mènent… J’adore !!!
A très vite ! Trop bien ces messages ce soir 🙂
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Oui, tu m’avais trop manqué 😘😘😘
A très vite
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Moi aussi !!! (Les emoji bisou cœur, je n’y arrive pas… ce n’est pas un problème de réseau chez moi 😉
Merci de tout cœur pour ces échanges. Ils me font beaucoup beaucoup de bien.
A très vite, prend bien soin de toi. Tu vas me manquer cet été.
Bises
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