Une pichenette du ciel

Quand le matin du troisième jour j’ai réveillé ma cadette, elle a souri dans son lit le visage encore plein de sommeil : « Aujourd’hui, c’est l’école ». Et quand, sur le chemin du retour, j’ai aperçu mon aînée – j’accompagne la cadette à l’école élémentaire qui commence quinze minutes plus tôt que le collège, en raison du covid, il est interdit d’arriver plus de dix minutes avant l’heure et de toutes les façons, l’aînée nouvellement entrée en sixième ne veut plus de sa maman dans les jambes -, elle a dessiné un grand signe de la main dans le ciel, s’est arrêtée et m’a demandé :
« Tu veux savoir ? Vomissements plus diarrhées ce matin.
– Tu veux rester à la maison ? J’ai tâté son front, elle ne semblait pas fiévreuse.
– Non, ça fait cinq mois et demi que je rate l’école. »
Jeudi, elle nous expliquerait que la première journée s’était révélée
« tellement géniale » que ce mercredi-là, elle se trouvait toujours dans un état d’excitation tel que son corps avait réclamé d’évacuer le trop-plein. Ce matin, nos deux filles se tenaient prêtes vingt minutes avant l’heure, à la fin attendant sur la marche de l’entrée la minute précise qui les autoriserait à partir. Dans ces conditions, anticiper le programme des vacances d’automne s’avère incompréhensible, nos filles ne veulent pas en entendre parler.

Me concernant, j’ai bravé, sans l’ombre d’une hésitation, l’interdiction d’accompagner notre fille dans la cour le jour de la rentrée. Enseignants, parents, élèves, portions tous un masque. Je n’allais pas laisser le virus me voler ce moment-là. Une dernière chance, peut-être, en CM2, et cette prérogative se verrait refusée. Et Kawaii se tient là prêt à témoigner, j’attendais cet événement depuis longtemps. J’ai guidé notre cadette vers sa maîtresse, fraîchement arrivée de Roumanie et sortie de sa quarantaine. J’arborais en guise d’excuse un sac rose fuchsia aux couleurs d’Anna, Elsa et Olaf de La Reine des neiges avec les lourds livres à rendre à la bibliothèque, en plus du bento et autres fournitures scolaires. J’ai fait un big hug à mon piou-piou puis suis repartie : « Libéréééééeeeee… Délivréééééeeeee… Aujourd’hui je ferai ce que je voudrai. »

Dès le lendemain, mardi, la directrice envoya une « Elementary students drop off/pick up information » compatissant avec les parents quant à la difficulté à ne pas « être » sur le campus, les assurant de combien aux enseignants aussi les parents manquaient, enfin rappelant malgré tout, pour la sécurité de la communauté, la nécessité de rester à la grille. Je crus me voir dans le viseur mais je me sentais emplie d’admiration. J’attends désormais le jour où l’Educ Nat formulera des mails aussi sympas. J’envoyai un message à la maîtresse de notre cadette afin de m’excuser platement : j’avais oublié la classe Zoom à onze heures trente (1), en dépit du système d’alarmes mis en place par ladite cadette. Tout se révélait ma faute : « Vous comprenez, c’était cours de couture chez notre voisine. Il restait les passants et l’ourlet de la jupe. »

Ce lundi de rentrée donc, pendant que la directrice scrutait le plafond de son bureau à la recherche de l’inspiration pour sa missive aux parents, j’ai écrit, d’abord un peu. Ai embêté une amie qui tentait de se rendormir en France afin de décider si oui ou non, je devais arrêter mes teintures et laisser apparaître mes cheveux blancs, tu comprends, un soir j’ai perdu deux centimètres d’implantation sur le front, comme cela, d’un coup, ils n’y étaient plus. Contacté L. au travail au sujet d’un bouton, sur la cuisse cette fois, inquiétant, qui semblait inflammé. J’envoyai la photo, entourai les contours au stylo indélébile et cherchai les maladies de peau les plus graves sur la toile. J’ai ensuite pu écrire, beaucoup, puis suis allée annoncer la bonne nouvelle au Minton. « Watashi no musume wa kyō – Ah ! Que je le retiens ce aujourd’hui, kyō ! – gakkō ni ikimasu. » Oidon san corrigea : « ikimashita ». Sont allées. Ouais. Ouais. On dit : « Je vais à l’école », « Je mange à l’école ». Ils disent : « Je vais gakkō ni », « Je mange gakkō de ». J’étais déjà fière d’avoir retenu ce point. Puis il passa le dernier album de Miles, genre jazz électro (2). La conversation s’épuise vite. Il n’y a pas, je rentre et je bûche mon japonais. Je reprends les cours le deux septembre.

Ce vendredi, sur le quai de la gare qui me ramenait de Tokyo où j’avais écourté mes promenades dans le but de fuir les quarante-quatre degrés ressentis et récupérer mon cerveau, je doutais beaucoup au sujet de l’intérêt de raconter ces histoires. Et d’ailleurs, je ne possédais aucune photo à joindre à l’article. En m’installant dans le train, j’ai rencontré la plus grande brochette de lycéennes déjà aperçue sur une banquette de wagon japonais. Je n’ai pu y comprendre qu’une pichenette du ciel. Alors, je vous les livre. Les belles profitaient du voyage pour se pomponner.

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  1. Présence à l’école un jour sur deux les deux premières semaines. Voir l’article Avant après.
  2. Miles Davis, Doo-Bop, Mystery

4 commentaires sur “Une pichenette du ciel

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    1. Merci Éva pour ces gentils mots 🙂 De savoir que tu vis la même chose avec tes enfants est un réconfort extrêmement puissant.
      Avec cette rentrée en sixième, je mesure le temps qui passe et je peux au moins le partager avec des amies chères et proches.
      Très belle rentrée aux enfants et à toi aussi ! Vous devez être dans les préparatifs intenses.
      Grosses bises à toute la famille.

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