Les percussions à Zojo-ji

Il m’a longtemps paru que sans une histoire, un article dans Kawaii ne valait pas la peine d’être écrit. Suis allée au temple Zojo-ji, passée au pied de la Tour de Tokyo, ai poussé jusqu’au sanctuaire Atago. Ci-jointes les photos au bas de la page. Au bout du compte, je partage assez peu mes balades.

Lundi dernier, entre le poison de « la » Covid, « la », si l’Académie l’assure après avoir noté que « morbus » en latin « aurait pu être préféré » à
« disease », soit disant plus universel (1), je notais avec humeur et peut-être injustement, que la féminisation des noms de maladie ne faisait pas débat sous la Coupole (2), entre le poison j’écrivais donc, et mon marasme scolaire (3), j’avais rendez-vous à Tokyo pour récupérer des livres de seconde main vendus à cent yens l’unité (4) au profit de deux charités dont l’une dévouée à Tiphaine Véron (5). Si je devais consacrer deux heures généreuses à mes trajets, il valait la peine de découvrir le quartier où je me rendais.

Ainsi, j’ai rejoint Zojo-ji, d’après mes lectures, un temple bouddhique majeur du courant de la « Terre pure », lui-même le plus pratiqué au Japon, renfermant le mausolée des Tokugawa, dont Ieyasu fut le troisième et dernier unificateur du pays, après Oda Nobunaga et Hideyoshi Toyotomi, installant la paix sur l’archipel pour les deux cent cinquante années à venir, jusqu’à l’arrivée des « bateaux noirs » du Commodore Perry (6). Il était possible d’assister aux prières des moines et mon guide regrettait que le calendrier de celles-ci ne soit pas régulier. J’imagine que les moines échappent ainsi aux touristes en mal d’expériences à raconter et de croix à cocher. Ils savent que la prière demande un peu de disponibilité, ce n’est pas à eux que les voyageurs pressés vont en raconter. J’avais quarante minutes à attendre. Il faisait chaud, j’ai relevé trente-sept degrés ressentis à onze heures trente. Je m’assis face à Bouddha, m’épongeai le visage et le cou avec la serviette qui ne me quitte plus. L’eau filait le long de mes mollets et de mes tibias, elle filait dans le bas de mon dos. Les lourdes portes étaient ouvertes sur les cigales qui chantaient. Les bruits de la ville parvenaient étouffés aux oreilles. L’air circulait à peine. Je n’avais rien à boire. 

Un ou deux moines vinrent allumer des bougies et préparer la salle. Un autre introduisuit dans l’enceinte des prières, un homme et une femme dont je ne sus dire s’ils étaient mari et femme, mère et fils ou frère et soeur. Il reste que la femme donna la préséance à l’homme tout au long de la cérémonie qui, je l’imagine, fut consacrée à leurs intentions. Puis la cérémonie débuta selon un rituel millimétré dont le sens m’échappe encore. Le moine le plus âgé, agenouillé sur un autel face à Bouddha, commença à chanter, accompagné d’un « mokugyo » (7), bien que je ne sois pas sûre de l’instrument, et deux ou trois « rin » (bols chantants) de différentes tailles dont le plus imposant émettait un son profond.

Il m’est impossible de décrire cette sorte de musique. Je l’ai oubliée. Un moine battait le mokugyo avec un rythme régulier et une résonance de plus en plus forte. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Jusqu’à rappeler à ma conscience les propres battements de mon coeur. Et je ne savais plus si celui-ci suivait le rythme du mokugyo ou l’inverse mais je le sentais entraîné par lui et cogner contre ma poitrine. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Les pulsations de l’instrument devinrent alors plus puissantes que celles de mon coeur et semblèrent dire « Tu es en vie ». « Tu es en vie. » Cette vérité banale revêtit la force d’une révélation dont je pressentais des effets très vastes bien que encore mystérieux. Enfin le couple fut invité à se prosterner devant Bouddha et la cérémonie se termina. 

J’ai attendu que les moines aient remis en ordre la salle puis je suis allée me promener au milieu de statuettes représentant les déités gardiennes des enfants. Je lis sur internet qu’il s’agit d’un cimetière qui leur est destiné. J’en doute. Je crois plutôt qu’il s’agit d’un lieu de prières en vue de les protéger et commémorer les âmes de ceux qui sont morts. Le chapeau et le tablier rouge, le moulin à vent, sont censés protéger et garder au chaud leur petite tête. J’ajoute la photo du panneau explicatif en anglais. Chaque lecteur pourra ainsi se faire son idée. L’endroit est calme, presque gai et très joli.

Après un déjeuner qui m’a autant servi à m’alimenter qu’à me rafraîchir, j’ai rejoint la tour de Tokyo. J’y monterai une prochaine fois, en hiver, quand le ciel sera assez dégagé pour apercevoir le Fuji. Elle fut érigée sur le modèle de la Tour Eiffel et la dépasse de quelques mètres. Ses couleurs blanche et orange international – je vois du rouge – respectent les exigences de la sécurité aérienne. Moi, quand je la vois, je crois toujours que la fusée de Tintin s’est posée en plein coeur de Tokyo et je crois qu’il faut attendre la nuit afin de trouver le meilleur moment pour la contempler.

J’avais assez de temps pour rejoindre le sanctuaire shinto de Atago, perché sur un rocher au milieu des gratte-ciels. J’ai rencontré Benzaiten avec surprise (8), photographié des carpes voraces, et tiré la bonne fortune deux fois, médiocre les deux coups mais la seconde l’étant moins, j’avais décidé de m’en satisfaire. Je n’avais pas repéré les quatre-vingt-cinq marches en pierre à mon arrivée. J’étais venue par un escalier métallique accroché à la colline et qui menait au musée de la NHK (9). Je les ai descendues et découvert en bas que ces marches étaient réputées conduire au succès contre quelques prières. On raconte qu’un cavalier réussit à les gravir à cheval dans le but d’apporter des fleurs de prunier à Ieyasu Tokugawa (le shogun au temple du début de l’article). Malgré la chaleur, est-ce bien raisonnable tout cela ?, je suis revenue sur mes pas et les ai montées. Suis allée vérifier, ai tiré à nouveau la bonne fortune. Elle fut satisfaisante cette fois. A la fin, j’ai pris quelques photos, du sanctuaire, des maisons du quartier qui résistent aux promoteurs, des taxis, des vélos, des camions-poubelles, plus petits, et il me semblait, les plus propres du monde, un jour je ne les verrai plus, suis allée attendre ma vendeuse à la station Kamiyacho, j’étais en avance, ai réussi à déchiffrer « omiyage » en hiragana (おみやげ), me suis félicitée, et suis rentrée en pensant à ma cadette qui était déjà rentrée de l’école et m’attendait à la maison.

J’ai bien dormi cette nuit-là.

  1. Le covid 19 ou la covid 19
  2. Voir l’article Ils l’ont fait !
  3. Voir l’article Levée des restrictions aux frontières et autres considérations
  4. 100 yens = 80 centimes d’euros
  5. Voir l’article L’esprit du kitsune
  6. Voir l’article Le sort de Shimoda
  7. Mokugyo, Wikipédia
  8. Voir l’article Enoshima, la douce
  9. NHK museum of broadcasting. NHK : chaîne publique japonaise de radiodiffusion.

4 commentaires sur “Les percussions à Zojo-ji

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  1. Coucou !
    Merci pour cette ballade qui nous sort un peu la tête du Covid et de ses préoccupations !
    Je vois la tour japonaise rouge également… on ne dirait pas qu’elle est plus haute que la tour Eiffel !
    Un peu angoissantes ces statuettes d’enfants…
    Bien joué pour les marches, je pense que je serai montée aussi ! 😉
    Merci pour le partage 😘

    Aimé par 1 personne

    1. Coucou Nelly !
      Merci pour ton message qui vient confirmer ce que je pensais. Nous avons tous besoin de vacances de la Covid… Elle me rattrape parfois, souvent, comme nous tous, mais comme tu le verras dans le prochain article, ces balades restent un excellent remède. Alors, je continue 🙂 J’essaie.
      Et de ton côté, continues-tu les activités du midi ? Le Yoga avec vous me manque.
      A très bientôt, bon courage, et toutes mes pensées (bisous cœur)
      Bises

      Aimé par 1 personne

    1. Merci Stéphanie ! D’autres ballades arrivent, tu vas voir. Et en plus, tu les connais 😉
      Si tu te vois bien avec les bols tibétains, alors je te les recommande. Un long et bon voyage en perspective.
      Bonne continuation et grosses bises.

      J’aime

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