La semaine « B » (1)

La semaine dernière, je l’ai appelée « B » : lundi, mercredi, vendredi, les filles à la maison. Les « B », je ne dispose que d’un créneau de neuf heures à quinze heures, les mardi et jeudi, que je peux consacrer à mon travail et des visites. Il faut compter plus d’une heure afin de rejoindre Tokyo et autant au retour. Les semaines « B », j’avance d’un pas et je recule de deux. Cette semaine s’annonce « A » : mardi, jeudi, les filles à la maison. Mais lundi, l’école réservait une journée pédagogique aux professeurs. « A » est devenue « B ». En toute logique, la semaine suivante restera « B ». Trois « B » à s’enfiler. Les soirs des semaines « B », je cherche le sens à vivre ici plutôt qu’ailleurs.

Jeudi dernier, j’étais réveillée à quatre heures. Bien que couchée aux alentours de minuit, me rendormir s’est avéré impossible. Alors n’en pouvant plus, j’ai quitté mon lit. J’ai ouvert les rideaux de notre séjour et aperçu la voisine vaquant déjà dans son jardin. Elle ouvre la moustiquaire, j’entends un bref glissement, un « clac » énergique, la voisine sort et c’est fini. Elle commence sa journée. Il n’était pas cinq heures, le ciel bleu clair affichait des traînées roses de beau temps. Je me sentais trop fatiguée pour écrire ou même lire. La voisine, le ciel, ainsi je me suis habillée et suis sortie. J’allais
« faire », c’est ainsi que je l’appelle, « ma balade de prisonnière », dont j’avais établi le parcours durant le confinement volontaire (1).

Quelques pas seulement ont suffi à dissiper les brumes de mes nuits. Le Motomachi park à cinquante mètres de la maison vibrait des sons d’une forêt tropicale. Cigales et oiseaux chantaient à tue-tête. Je voulais en être. La rue Yamate se trouvait déserte jusqu’au Harbor view park. J’ai savouré le vide des trottoirs d’ordinaire encombrés d’écoliers ou de touristes, les emboîtements de la ville entre deux arbres et la cabine téléphonique en bois peint (2), un homme appelait je crois. Le cimetière des étrangers se voyait fermé. J’aurais voulu m’avancer sur son promontoire et admirer les montagnes bleues au loin. Arrivée là-bas, j’ai rencontré les premiers joggeurs, les premiers maîtres avec leurs chiens. Tout en discutant, deux hommes observaient le lever du soleil fixé à cinq heure vingt et une (3). Un promeneur assis face à la baie entamait son petit-déjeuner sans bruit. A cette heure, pas une personne ou presque ne portait son masque. Mon visage redécouvrait une brise légère venue de la mer.

J’ai marché un grand tour des parterres, puis suis descendue au Yamashita park en empruntant la passerelle qui enjambe la rivière et le boulevard. J’ai pris les photos des vues dont je voulais garder le souvenir même si certaines ne se révèlent pas les plus belles. J’ai acheté une boisson à un distributeur automatique devant le musée des poupées, j’avais faim. Celle-ci promettait de procurer l’eau et les électrolytes perdus pendant la transpiration. J’ai appris le mot « électrolyte », certaine que je l’oublierai. Il devait faire vingt-cinq ou vingt-six degrés au thermomètre, une trentaine de degrés ressentis. La température monterait jusqu’à trente-cinq. La chaleur avait baissé depuis une dizaine de jours. J’ai constaté l’absence des mouettes, sans doute occupées à tourner autour des bateaux de pêche.

Je suis rentrée par Chinatown et la rue Motomachi en photographiant tous les distributeurs de boissons sur mon passage. Je n’avais pas encore pris la peine de les immortaliser. Pourtant, ils figurent parmi les singularités de ce pays. Nous les voyons à chaque coin de rue, halls et quais de gare, parkings, et caetera, et nous les utilisons souvent, surtout l’été et l’hiver. Nous savons aussi, dans certains endroits, lequel préférer : à la gare Motomachi, plutôt celui du hall que celui du quai, l’eau coûte vingt yens moins chère, plutôt celui à l’avant du train qu’à l’arrière, on y trouve tel café chaud plus corsé. Et nous continuons notre chemin.

  1. Je croyais avoir écrit un précédent article au sujet de ce parcours. Je ne le retrouve pas. Voir l’article La vie claire pour les photos.
  2. Afin d’assurer l’accès à la communication et sécuriser les moyens d’urgence en cas de pannes de courant, les téléphones publics demeurent essentiels et sont maintenus dans le cadre de la préparation aux catastrophes. Sources : The government of Japan, Facebook. Voir la photo numéro 15.
  3. 7 h 21 à Paris le même jour.

8 commentaires sur “La semaine « B » (1)

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      1. Oui… Je ris. Je ris.
        Là, je suis dans ma troisième semaine soi-disant « B » qui est encore un peu particulière. Je ne sais pas si ça vaut un article… On verra.
        Belle continuation ! Belle semaine ! Et grosses grosses bises.

        Aimé par 1 personne

    1. Ah ça ne m’étonne pas !!! Un vrai régal l’hiver quand il fait froid… et l’été quand il fait chaud…
      A moi aussi, certaines boissons manqueront : le thé citron yuzu, le thé au lait chai, etc.
      La France manque un peu d’originalité de ce côté-là 😉
      Bonne reprise en ce lundi ! Et grosses bises.

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