La semaine « B » (2)

Il y a quelques jours à la papeterie Itoya à Motomachi, j’ai aperçu des cartes postales de Yokohama avec des légendes en français. Ma langue plutôt que du japonais ou de l’anglais ne m’a pas surprise outre mesure. Après presque deux ans, je me sens chez moi dans ce bout de quartier. Il paraissait presque commun qu’on y parle le français. La communauté française discute tous les jours sur WhatsApp dans le but de lever les obstacles d’un retour au Japon et trouver un laboratoire à tel ou tel français empêché de monter dans son avion sans des résultats frais de moins de soixante-douze heures. Jacadi, Lacoste, Bio C’ Bon et Picard possèdent leur vitrine en bas de chez moi. J’ai mes habitudes. La Bluff Bakery (boulangerie de la bluff) comble nos pannes d’inspiration à l’heure du déjeuner. Le pressing installé sur le chemin de la gare vend des fleurs et pratique un rabais systématique sur nos bouquets du samedi. L’épicerie Union représente un phare pour les courses de secours et les coups de blues, les galettes Saint Michel et le camembert à plus de huit euros. Là-bas, La Poste m’obligea à adresser d’un côté la lettre, de l’autre le paquet, destiné à la même personne. Une autre fois, elle m’imposa de revenir car il manquait un numéro de téléphone à ce courrier suivi jusqu’en Chine. Vous pouvez toujours tenter de négocier, pour ma part, j’ai renoncé. A côté, le seven eleven (1) où je retire souvent du cash et paie tous les mois mes factures d’eau, de gaz et d’électricité, en cash justement. A gauche le Minton et Oidon-san, à droite ma coiffeuse Chika. Nous savourons aussi ce kiosque de crêpes bretonnes à la sortie de la gare, beurre sucre, le pépé en béret s’y connait, et cette pâtisserie française d’une finesse exquise, et Paula, son accent chantant et sa trattoria, si vous pouviez nous avoir de votre fromage à la truffe. Je passe l’école, le cabinet médical et son médecin l’air toujours embêté, nos dentistes, le chauffeur qui attend tous les matins son patron au pied d’une berline Lexus noire passée au plumeau quelques minutes avant que celui-ci ne sorte de sa maison, nous nous saluons à force de nous croiser.

Mais ce jeudi matin au Harbor view park, sur cette esplanade tant de fois traversée, le goût du voyage a de nouveau surgi en moi. J’ai longtemps cherché à identifier la cause de ce réveil soudain : l’humidité chaude refusant de rafraîchir l’aube, le pantalon et la chemise censés protéger des moustiques, la vue sur le Pacifique, Tokyo au-loin et le Bay Bridge clignotant, ces essences d’arbres et de fleurs, ces odeurs dans les jardins auxquels je ne peux pas donner de nom, ces cigales au chant de métal, « miiin-min-min », « miiin-min-min », « miiin-min-min », rien à voir avec les mémères tranquilles du Sud, « jin-jin », « jin-jin » bien qu’il s’en trouve également, les autoroutes urbaines surplombant les rivières ou filant entre les gratte-ciels, les architectures à angle droit des fondations jusqu’aux toits, l’homme qui prie sur le trottoir devant les grilles d’un temple encore fermé.

Oui, j’ai cherché. J’ai repensé à ce soleil que j’ai regardé se lever dès cinq heures. Il m’a rappelé un précédent voyage au Japon. J’avais dormi à l’aéroport Narita afin de prendre un vol à destination de Fukuoka tôt le matin. Dans ma salle de bain dont la baie vitrée donnait sur le tarmac (j’avais trouvé l’idée étrange : le pilote dans son avion me voyait-il face à mon miroir ?), l’esprit embrouillé par le décalage horaire, j’avais aperçu un soleil rouge et hypnotique se lever sur les pistes. Fascinée, je n’avais pas pu entrer dans la douche avant quelques minutes. J’avais compris pour la première fois, vraiment compris, le drapeau japonais. Je vis dans ce pays désormais, pourtant je n’ai plus jamais observé un tel spectacle. 

Était-ce l’appel du soleil, quel pays plus à l’est ? Était-ce l’intuition d’un esprit qui avait trop marché et trop jeûné ? Était-ce le remède à un enfermement devenu trop long et trop pénible ? Bientôt je voyagerai loin dans le Pacifique. Dans le fond, j’étais peut-être prête à quitter le Japon.

A six heures trente, je suis rentrée à la maison en m’assurant que le jour avait bien chassé les cafards sur les marches du parc Motomachi. Je ne les emprunte plus le soir, ces affreuses bêtes noires se confondent avec les feuilles mortes et se faufilent entre nos pieds. J’avais marché une heure et demi de parcs en parcs. Je me suis assoupie quelques instants sur le canapé, un t-shirt sur les yeux supposé recouvrir le séjour baigné de lumière. Puis le réveil a sonné me donnant l’impression de commencer une deuxième journée. En attendant que L. et les filles ne se préparent avant de partager le petit-déjeuner, j’ai regardé les photos de ma promenade et les changements du jour à cette heure si singulière. Enfin, j’ai posé le bon pied à terre et j’ai tout oublié. Je me suis remise à travailler.

  1. Seven eleven : chaîne de konbini. Voir Les épiceries japonaises ouvertes 24/7/365, Kanpai !

9 commentaires sur “La semaine « B » (2)

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  1. C’est marrant depuis une semaine j’ai envie de faire une promenade matinale au jardin des plantes mais il fait trop chaud et c’est pas encore vraiment l’automne du coup (et puis il fait jour vers 7h maintenant ici) BIsous 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. Vas-y !!! Ça fait du bien !!! Même ailleurs que le jardin des plantes. Ton cerveau fourmillera de nouvelles idées dans un grand calme 🙂 Il est vrai que jeudi dernier, j’ai réalisé que le soleil au Japon offrait des possibilités impossibles en France… Pour autant, je ne règle pas mon réveil plus tôt 😉
      A très bientôt et bonne continuation !

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  2. Belle promenade matinale 😊 Le calme doit être bien agréable.
    Quelle destination alors, loin du Pacifique ?
    Non mais les cafards… c’est pas possible ?! 😯 il nous faudrait un reportage photo 😉
    J’espère que tu as pu faire une autre petite sieste 😉
    A bientôt 😘

    Aimé par 1 personne

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