Les saisons bleues

La météo accorde quantité de choses.

Elle autorise les plaintes, on s’y vautre à bon-droit, de la pluie, la longue pluie, la pleureuse, le baromètre de nos vies ennuyeuses. Le froid des dimanches après-midi sans fin.

Kawaii n’y échappe pas. Pourquoi le voudriez-vous ? 

Lundi dernier 21 septembre se trouvait férié, jour de respect à l’égard des personnes âgées. Les températures avaient baissé, pourtant le ciel conservait son gris bouché et collant de l’été. En ouvrant les fenêtres ce matin-là, je surpris le silence des cigales. Il me cogna presque. Balin-balan les mémères ont repris à midi quand un rayon de soleil s’est pointé. En fin d’après-midi je traversai la rue Motomachi, piétonne le temps des soldes de la « silver week » (1) et allai visiter Oidon san. Il se faisait photographier avec ses clients fidèles venus le saluer et prendre une bière pour l’occasion. Je n’échappai pas à quelques photos de groupe devant son bar. Les passants déambulaient avec un air de fête. Il devenait doux de marcher la nuit (2).
Mardi 22 septembre, équinoxe d’automne, aussi férié. La semaine s’est révélée désespérément grise. Mercredi, L. écoutait le silence. Le calme lourd avant la tempête assurait-il. Même les maudits corbeaux se sont tus. Jeudi, nous échappâmes de peu au typhon. Merci, bon seigneur, pour ces gênes supplémentaires que nous n’aurons pas à endurer ! A la fin, il dévia sa route je ne sais où. Du moins nous mangeâmes ses restes, froid, vents et pluies. Comme on note sa chaudière dans un calendrier, nous consignâmes les premières vingt-quatre heures sans nos climatiseurs. Puis les nausées de la dépression, pourtant partie au loin, me collèrent au lit. La médecine chinoise les a à l’oeil depuis des siècles. Que peut-on y faire ?

Le soleil a reparu dimanche après-midi. Il avait changé la compagnie : un ciel dégagé, un vent frais léger, une lumière rasante et chaude. Il a dégourdi au parc la trottinette, le skate board et les rollers longtemps abandonnés au placard. Mais pluie de moustiques désespérés. Ainsi que les corbeaux, ils savent. Eux, l’humidité qui tombe, la fin proche.
Lundi en ouvrant les fenêtres, je respirai la fraîcheur du matin aussi fort que je le pus. Depuis le mois de mai qu’elle avait disparu ! Elle s’engouffre aussitôt à travers les moustiquaires et traverse la maison, monte à l’étage, se heurte à la trappe du grenier puis redescend et repart et revient, une grande langue qui lèche le visage que je lui tends. Au retour de l’école, un papa prend des photos dans le lointain. Ne serait-ce donc pas ? Je tourne la tête. Le Fuji. Caché depuis des mois derrière les brumes moites de l’été, ce signe ne trompe pas. Le linge confirme l’événement, il sèche au soleil sur les terrasses et les balcons. Les températures ont remonté : la journée des vingt-cinq degrés, la brise délicate, le ciel bleu, clair, le grand beau temps. Il traversera les trois prochaines saisons coupées ça et là par les pluies. Je l’avais oublié.

Nous devisons avec notre professeur de japonais. « Suzushi ku narimashita ne. » Il fait plus frais, n’est-ce pas ? Les Nippons discutent souvent de la météo. Elle marque sa surprise. Les français aussi ? Ah ! Vraiment ? Les français si chic causent de la météo ? Oui, oui. Tout cela s’avère si décevant. Si décevant. Avec L. nous adressons un regard à l’autre. On le lui dit ? A défaut, les français parlent aussi des seins et des nombrils des lycéennes. Toute la nation, pour ou contre ?
Mais nous soupirons d’aise. Ca y est ! La plus belle des saisons arrive au Japon et plus tôt que l’an passé. Notre professeur sourit et acquiesce.

Je sors photographier mon hortensia qui a grossi. La chaleur et l’humidité de l’été. Comment je t’aurais sauvé toi, si le typhon était passé ? Il nous fait la faveur d’une fleur rose. « Elles étaient bleues quand nous l’avons acheté maman.
– C’est la terre que nous avons ajoutée. »
Je sors déjeuner avec une amie. Nous visons une rare terrasse, mangeons très lentement puis allons rendre visite à Oidon san. Il est tombé samedi derrière son bar en s’embarrassant les pieds dans un fil électrique. Il boite péniblement et aurait pu y laisser sa peau. « Ki o tsukete kudasai. » S’il vous plaît, soyez prudent ! Il reste un peu de temps, nous remontons sur la bluff par la maison d’un diplomate, jaune et marron. 

Je compte : notre deuxième automne complet au Japon. Celui-ci pèse davantage que celui-là. Avec la Covid, nous avons bouclé le tour des saisons. Et cette lumière ! Celle de la Provence serait pâle. Peut-être celle de Grenade sur l’Alhambra jaune et verte ou Tanger sur la médina blanche et bleue.

Ah mes amis ! La plus belle des saisons arrive au Japon.

  1. La « semaine d’argent » est une série de jours fériés consécutifs qui se tiennent souvent en septembre, selon le calendrier des jours fériés nationaux de l’année.
  2. Coucher du soleil à 17 h 38 le 21 septembre 2020.

2 commentaires sur “Les saisons bleues

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    1. D’après ce que j’ai compris, la couleur des fleurs sont en fonction de la composition de la terre… Je préfère bleu mais cette fleur rose automnale me ravit tous les jours dans mon jardin (ma terrasse).
      Tu te rappelles que j’ai taillé le rosier avec toi ?
      Maintenant, j’aimerais installer des pots et des plantes sur le pas de notre porte. Des pots dénichés dans des brocantes. Et replanter des herbes aromatiques… Me connaissant, cela va prendre plusieurs mois 😉 si j’y arrive jamais !!!
      A très très vite et porte-toi bien 🙂
      Grosses bises

      J’aime

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