Shinkansen (2)

Aujourd’hui je m’oblige à terminer la suite du Shinkansen (1). J’ai dû relire la somme de mes observations et j’aurais volontiers sauté à nos premières virées à Kyoto. Transformer en une lecture plaisante, presque fleurie, un inventaire à la ligne me paraît un vrai supplice, si tant est que je réussisse : ici c’est comme ci, là c’est comme ça, on s’y prend comme ceci, ou cela, il y a ci, il y a ça. Pourtant c’est plus fort que moi, je me sens le devoir. Je peine, j’ennuierai peut-être, mais suis au moins honnête. Celui qui s’embête peut passer son chemin.

Depuis la dernière fois, j’en étais arrivée à me trouver confortablement installée dans un siège de Shinkansen. Auparavant j’avais placé nos bagages dans un espace assez étroit s’il prenait à quelqu’un de le comparer à ceux du TGV français disposé aux valises, sacs de voyage, sacs à dos, poussettes d’enfants pliées, skis, vélos (démontés et rangés dans une housse) et planches nautiques (traitement identique au vélo s’agissant du rangement) (2). Même la géniale solution des tablettes rabattables au-dessus des bagages du rez-de-chaussée ne se montrait pas de taille à rivaliser.
Toujours dans les comparaisons, et bien que pratiques, je m’amusais de la précision des marquages au sol : « Oversized Baggage Area ». Mais au moment d’y glisser en ordre nos sacs et valises, je lus la nécessité d’y réserver un emplacement et c’est à cet instant que je vécus une véritable illumination.

Je fis un voyage dans le temps et repensai à l’agente du JR East qui s’était occupée de nos billets un mois avant notre départ. Je voulais arriver à quinze heures et j’avais choisi le train de 12 h 48 plutôt que celui de 13 h 18 car je n’avais pas une minute à perdre à Kyoto.
La jeune femme avait absolument tenu à préciser l’enchaînement des trains et des horaires entre la gare la plus proche de notre domicile et celle des Shinkansen à Yokohama – comme si le gars le plus zélé de la SNCF expliquait à son client que pour tel Paris Lyon, il devrait prendre tel RER à telle heure à telle gare et changer pour tel métro à telle heure à telle gare – et je n’étais pas parvenu à la convaincre que non, malgré l’évidente simplicité, nous n’avions pas besoin d’ajouter sur nos billets de Shinkansen le trajet entre Kikuna et Shin-Yokohama, nous disposions de nos cartes prépayées (3), nous y étions habitués et nous nous en sortirions très bien avec. J’avais fini par accepter quelques centaines de yens supplémentaires sur nos tickets, quelques euros, plutôt que tenter d’accorder nos façons de penser.
C’est pourquoi, quand la jeune agente me demanda si nous transporterions des bagages, et quelle taille s’il-vous-plaît, je m’abandonnai à sa diligence et m’exécutai avec une discipline bonace et sans la moindre trace de curiosité. Un mois avant la date de notre départ, j’avais dû imaginer les affaires que nous emporterions, déplier l’escalier casé dans le plafond, monter dans le grenier, en descendre les valises et les sacs, et estimer dans le vide les largeurs et hauteurs avec mes mains et mes bras placés parallèlement les uns aux autres.
D’un hochement de tête qui confirma que j’avais répondu à la question, l’employée du JR finit notre réservation et imprima nos tickets. Ainsi, selon la procédure, nous disposions des sièges réservés à la dernière rangée de la voiture, située juste devant l’espace dédié aux bagages volumineux qu’il fallait réserver.

J’avais beau être en règle par la grâce d’une agente prévenante, il s’avère certain à présent que je ne savais pas voyager comme une Japonaise.
Je crois que rien jusque-là n’avait permis à mon esprit d’imaginer le paradis de ne pas avoir à trimballer, suffocante et en nage, crispant tous les déodorants de la terre, ses bagages d’un train et d’une gare à l’autre, avec des enfants qui plus est, dont il faut s’assurer qu’ils suivent par des coups de tête réguliers à droite, à gauche, en arrière, ou qu’il faut brusquer un peu parce qu’ils ne marchent pas assez vite, c’est lourd, vous vous pressez d’en finir, ils sont devant vous désormais, comme cela vous les voyez, ou à qui vous criez les directions, ils ont compris maintenant, ils sont loin devant, « À gauche ! », « À droite ! », « Là ! Là ! C’est là. » « Stop, j’en peux plus. Il faut que je fasse une pause. »
Une Japonaise, elle, décroche son combiné de ses doigts fins et délicats de Japonaise et de son visage impassible, appelle la société Yamato. La société Yamato sonne à la porte, confirme le nom de la Japonaise, fait une courbette et retire les bagages (plus sans doute quelques papiers à signer) qu’elle livrera à la porte de leur destination, pour un prix raisonnable, un temps record et une fiabilité plus inimaginable encore que le service proposé lui-même.

J’incite rarement le lecteur à consulter les notes que je prends la peine de joindre aux articles. Cette fois, je l’invite à lire la numéro cinq (5) s’il veut pouvoir réaliser combien en remontant l’allée à contre-sens de ma voiture numéro six, mes filles me précédant, un sac sur le dos, un casque de vélo pendouillant à l’une des sangles, une valise à roulettes traînée derrière elle, dont une méchamment cabossée par un voyageur du TGV Dijon – Paris qui, en retirant brutalement son sac de dessous les bagages des fameuses étagères métalliques du TGV, fit voler le tas, la valise de ma cadette allant se fracasser contre un coin, moi restant médusée comme une Japonaise à Paris alors que je ne vivais sur l’archipel que depuis six mois, lui beuglant je ne sais quel mécontentement, les filles me précédant donc, moi un sac à dos de montagne sur le dos, un autre à l’épaule gauche, plus petit, mais lourd d’un ordinateur et de livres, un troisième à la droite, avec des fleurs, rose, mignon, un sac en plastique en équilibre sur mon petit doigt, contenant deux bento que je tenais à garder à plat, deux bouteilles d’eau et une de thé vert, mon cou empêtré dans une écharpe épaisse grise à carreaux marrons, suant ma peine, avançant en crabe afin de passer l’allée, pouvoir réaliser combien, oui combien, je faisais figure d’une extra-terrestre en pays nippon.

Installées confortablement, je ne savais pas encore au sujet de Yamato. Je le découvris en écrivant cet article. Comme quoi, ils servent, au moins à moi. Je m’étonnai du peu de bagages autour de moi et j’en concluai que les voyageurs nippons savaient se rendre sobres et économes. Je me sentais pleine d’aise en déjeunant avec nos bento et je jetais des coups d’oeil à nos voisins qui ne profitaient pas de ce privilège. Rassérénée, rassasiée, je commençai à envoyer des WhatsApp à ma famille.

Voici comment débuta ma liste qui pourrait suivre dans un prochain article et que je réussis à m’épargner encore aujourd’hui. Quant au lecteur, après celui des gares, je lui laisse le temps de digérer le chapitre des valises. En outre il réussira peut-être à fermer la boucle de l’espace assez « étroit » destiné aux gros bagages.

  1. Voir l’article Shinkansen (1)
  2. Transports de vos bagages, Oui SNCF
  3. Carte PASMO et carte SUICA, Vivre le Japon
  4. Reservations for seats with an oversized baggage area, JR
  5. Takkyubin : l’envoi de bagages pour voyager à la japonaise, Kanpai !
    La société Yamato propose désormais un service en anglais : lien.

6 commentaires sur “Shinkansen (2)

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  1. Chère Marie Pierre, je ne me suis pas ennuyée une seconde, j’ai meme relu 2 fois le paragraphe décrivant un crabe qui avance sur un quai japonais. Que j’ai ri !! Merci merci pour ta fraicheur. Pour le retour tu peux peut-etre envisager Yamato (quel luxe!!) ?
    Dernière question : 2 bento pour 3 ? Tu avais peut-etre l’appétit coupé après l’aventure ….

    Aimé par 1 personne

    1. Chère Delphine,
      Merci pour ton témoignage hautement encourageant quelques minutes après la publication de l’article. Un support que tu ne peux même pas imaginer tellement je doute parfois.
      Tu penses que si je m’étais promise de prendre au moins une fois le Shinkansen au cours de notre séjour ici, je me suis maintenant promise de recommencer au moins une fois avec la société Yamato… qui n’est pas très chère du tout (le billet de Shinkansen le sera beaucoup plus). Même pas un luxe tant c’est populaire. Les japonais se font même expédier des fruits frais… Alors.
      Et pour répondre à ta dernière question… Ma deuxième fille avait opté pour des sandwichs préparés à la maison. Elle voulait être sûre de manger à son goût…
      A très bientôt, belle continuation et toutes mes pensées !
      Bises

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  2. J’adore ! Rien que de t’imaginer remonter le courant, dans les rangées, tel un saumon…
    Ils ont donc un service de livraison de bagages… ils sont vraiment forts ces japonais !
    J’espère que tout se passe bien à Kyoto ! Hâte de lire la suite ! 😘

    Aimé par 1 personne

    1. Coucou Nelly,
      Merci pour ton message et ta présence… J’adore la remontée du courant tel un vaillant saumon… (Smileys qui rient, qui rient…)… J’attends mon retour tu sais où pour faire un stage de perfectionnement sur Kawaii et devenir capable d’ajouter les smileys de mon choix.
      Oui, les Japonais sont extrêmement forts. Il faut que j’essaie Yamato en Anglais maintenant.
      Nous sommes revenues de Kyoto mais je mets tellement de temps à sortir un article que je ne suis toujours pas sortie du train 😉 Ca va venir 🙂
      A très bientôt, bon courage et énormes bises.
      Je pense fort à toi.

      Aimé par 1 personne

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