L’avenue des Ginkgo

Avec ces histoires de Shinkansen à rallonge, j’oublie l’actualité.

Ici, nous guettons les feuilles d’automne. Certains les chassent, à celui qui jouira du meilleur spot au meilleur moment (1). Je connais quelques endroits en dehors de Tokyo et Yokohama où il faudrait que j’aille, Hakone, Nikkō, le lac Kawaguchi au pied du Fuji (2). J’imagine ceux qui profitent de Kyoto ce week-end prolongé, je les envie. Lundi 23 novembre est chômée à l’occasion de la fête du travail.
Ces lieux s’avèrent trop convoités les week-ends, je crains de finir encore une fois à Atami (3). Ou je devrais anticiper et planifier. La semaine se verrait encore possible. Il faudrait organiser avec l’école, les activités et les rendez-vous et je me sens une flemme. Il existe peut-être au fond de moi un ordre des choses à découvrir dans lequel les couleurs d’automne au Japon se placent à l’arrière. Je ne me tiens pas encore prête pour cette course.

Mardi j’avais rendez-vous à 11 h 30 au jardin Koishikawa Korakuen à Tokyo. Je partis tout de même tôt afin de faire un saut à l’avenue des Ginkgo, paraît-il tout jaunes et magnifiques. J’aurais coché la case à ce must go de saison dont je ne sais jamais à l’avance si je partagerais le classement qui circule sur la toile.
Le jaune éclatant des feuilles sur le bleu vif du ciel tenait ses promesses alors je me sentis un peu bête avec mes méfiances. Les branches des Ginkgo plantés sur deux rangées parallèles formaient un couvert de chaque côté de l’avenue. Je n’avais jamais vu une telle mise en scène de la nature dans une ville.

Je pensai que la meilleure façon de les admirer serait de m’arrêter et prendre un thé sur une des terrasses au commencement de l’avenue. Au lieu de cela, je parcourus une allée dans un sens, celle d’en face dans l’autre, puis revins à la première que je parcourus à nouveau de bout en bout. Je photographiai mes habituels inconnus, mes habituels chiens habillés, mes habituels mariés et mes habituels photographes. Les voitures et les camions rangés sur la chaussée me gênaient.
Je lus la résistance des Ginkgo dont quelques-uns auraient survécu à la bombe à Hiroshima. Je dis « auraient » parce que franchement, je n’ai pas pris la peine de recouper mes sources. J’appris aussi qu’une feuille de Ginkgo biloba verte en forme de T est l’emblème de la ville de Tokyo, signe de prospérité, de charme et de tranquillité. Je l’avais souvent vue sans me questionner.

Le temps était si doux pour la saison, trop doux, environ vingt-trois degrés. Je préférai marcher les cinq kilomètres qui permettaient de rejoindre mon jardin plutôt que de reprendre le métro. Je retirai ma veste, mon écharpe et fis de longs pas rapides en chemisier.
Je reconnus la station de métro où j’avais déjeuné un jour, il y a presque un an et demi. J’étais arrivée puis repartie incapable d’identifier ce point minuscule au pied de cette tour. Cela donne cette impression Tokyo. Je longeai le palais d’Asakusa en remontant l’avenue dans le sens inverse de celui que j’avais pris la première fois avec des amies au mois de septembre. Ainsi je me trouvai là. A l’entrée des grilles, je me demandai si l’endroit n’avait pas un air de Londres avec son Buckingham. Puis je suivis les rails et la rivière.
Au pont Yotsuya Mitsuke, j’aimais le style classique français un peu rouillé. Je repérai le pape François sur une immense affiche de l’autre côté du boulevard. Je pris la photo en songeant à une amie qui m’avait interpellée à l’occasion de sa visite au Japon, voilà tout juste un an aujourd’hui. Au-dessus du saint homme qui envoyait un message à la vie, « Protect all life », le Père Noël sur une affiche plus grande encore se léchait à l’avance les babines de toutes les bouteilles de Coca-cola qu’il serrait dans ses bras et dont il allait bientôt s’empiffrer. Il s’agit d’une hypothèse, je ne lis pas le japonais à côté de lui. Il se montrait peut-être simplement content de les offrir bientôt. La vie menacée, je ne sais pas, quelque quinze mille espèces animales et végétales, le risque des eaux de Fukushima dans le Pacifique, la forêt amazonienne de Bolsonaro, les abeilles de Macron, tout ça, tout ça, Noël, Coca-cola. On le sait, le monde est si bête, si bête.

Plus loin, je photographiai un homme posté devant une station de wifi gratuit, l’avenue et le trottoir que je suivais, comme cela, pour rendre compte, le gardien d’un chantier qui s’étirait et dont je pouvais assurer qu’il souffrait sacrément du dos, la passerelle moche et pratique à piétons au-dessus du carrefour d’Iidabashi, l’ancien quartier des français avant que le lycée ne déménage, une tente repliée et attachée aux grillages interdisant l’accès à la rivière au-dessus de laquelle une autoroute suspendue plongeait ses piliers. 

J’arrivai à mon jardin aux cailloux volants (4). Ils me déçurent. Le niveau de l’eau avait baissé et ils semblaient pauvrets, posés comme de grosses choses désormais. Le pont rouge fermé l’année dernière en raison des récents typhons je crois, se révélait ouvert et je le traversai. Je m’assis un peu sur un caillou et photographiai le rouge incomplet de l’érable qui se trouvait au-dessus de moi. Une Chinoise traversa les rives du petit étang pourtant interdites, en vue de préserver les pierres, les herbes, tout ce qui se trouvait là et qui ne pouvait souffrir les piétinements. Ces rives plates se montraient un raccourci certain à la place du chemin qu’il fallait grimper dur puis redescendre afin de rejoindre le père sans doute, assis au pied d’un arbre.

Je fus prise de dégoût et je partis de mon caillou. Je ne voulais pas les voir en face de moi. Ils gâchaient mon paysage. J’observai la femme un moment parler fort avec son père, puis s’asseoir à côté de lui. Pas l’ombre d’une gêne ne l’avait effleurée. Le spectacle se montrait choquant mais je savais bien que cela aurait pu être n’importe qui d’autre à sa place. Car de toutes les façons, à un moment ou un autre, on fait toujours ce qui nous arrange.

  1. Kôyô, l’alter-ego du hanami en automne, Vivre le Japon
  2. Voir les articles suivants : Des cartes postales pour Hakone, Les jolies photos de vacances pour Nikkō, L’appel de Fuji san et les articles du mois de mars 2020 pour Kawaguchi.
  3. Voir l’article Un camphrier nommé Ookusu
  4. Voir l’article Le jardin aux cailloux volants

6 commentaires sur “L’avenue des Ginkgo

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  1. Magnifique, le ginko porte tellement son nom d’arbre aux mille écus ! il y en a qq uns également dans mon quartier, je m’en mets plein les yeux quand l’automne arrive. Merci pour ces belles images lumineuses.

    Aimé par 1 personne

    1. Coucou,
      Merci pour ton message. Je ne savais pas du tout pour les mille écus. Je crois même que je n’avais jamais vraiment remarqué cet arbre jusque-là… Honte à moi !
      Quand j’aurais un jardin (si jamais j’en ai un), je planterai un cerisier pleureur, un érable du Japon et un Ginkgo, puis un prunier d’ici… en espérant qu’ils feront bon ménage 🙂
      Grosses bises et bonne continuation !

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  2. Waou les magnifiques couleurs !!! Merci pour le partage. Ici toutes les feuilles sont tombées … et le soleil brille, on en profite à 13h30, avec l’attestation en poche (case 6 cochée), entre le déjeuner avalé vite fait et la prochaine réunion hangout de 14h… #confinement #sansenfantsalamaison

    Aimé par 1 personne

    1. Merci pour ce témoignage de ton quotidien en home office avec l’attestation sous le bras. Le confinement a au moins cet avantage et là où tu habites, tu dois en profiter pendant ta pause déjeuner 🙂 Tout comme de la maison au calme sans enfant.
      Bon courage quand même… Macron devrait parler ce soir, je crois ?
      Grosses bises et toutes mes pensées.

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