Le lundi juste après ce samedi 31, alors que j’avais pensé regagner un peu de ma liberté, j’avais rendu les armes.
La presse nippone annonçait que malgré la nette diminution du nombre de cas de Covid, le gouvernement s’apprêtait à déclarer la prolongation de l’état d’urgence dans notre préfecture, et d’autres, jusqu’au 7 mars (1). Le gouvernement confirma dès le lendemain, le 2 (2).
L’école devait rouvrir ses portes initialement le 8 février, à la fin de l’état d’urgence avant que celui-ci ne soit prolongé. Si aucun cas n’était déclaré, cela ne comprenait pas qu’elle le ferait ainsi que le recommandaient les autorités. Elle avait établi son fameux blended learning (3) avec une moyenne de 1 280 cas journaliers sur sept jours le 03 août et sans état d’urgence dans notre préfecture. Avec l’état d’urgence prolongé et une moyenne de 3 325 cas, je savais que les carottes étaient cuites.
Contre toute attente, l’école informa dès ce lundi qu’elle ouvrirait bien à la date fixée, à temps complet et pour tous les élèves. D’autres parents avaient dû secouer le cocotier. Depuis que je la savais capable d’annoncer une fermeture de la maternelle au lycée un dimanche à quinze heures, il devenait naïf de se réjouir d’une telle nouvelle et j’attendrais que nos filles y mettent réellement les pieds.
Elle dut justifier cette prise de position courageuse qu’elle n’avait pas su saisir jusque-là par des dispositions sanitaires renforcées : choix des masques, ouverture des fenêtres, silence absolu à la cantine. Aucune contamination n’avait jamais été vérifiée au sein de l’école. Pourtant, l’ajout de plages horaires à la cafétéria afin de diminuer le nombre des élèves et les parois plexiglas installées entre chacun d’eux ne semblaient plus suffire.
Nos filles ne savaient pas si elles pourraient réchauffer leur plat dans le micro-onde commun :
« On est plusieurs à l’utiliser maman, on ne sait pas s’ils voudront.
– Ben, ils n’ont qu’à poster une personne à côté du micro-onde chargée d’ouvrir et fermer la porte et appuyer sur le bouton ON / OFF. »
Un blanc répondit.
Je n’osais prévenir la Direction qu’à ce rythme, la combinaison de protection jetable résistante aux agents infectieux et autres projections pendait au nez du personnel.
Le mardi, jour de l’extension officielle de l’état d’urgence, Mr Taro Kono, ministre notamment chargé de la campagne de vaccination, annonçait dans un tweet la confirmation que les résidents étrangers pourraient bénéficier du même accès au vaccin que les ressortissants japonais et que celui-ci serait pris en charge financièrement par les autorités japonaises. La question se trouvait en suspens depuis le mois de décembre (4). Si je dois rester franche, et tout en soulignant l’effort, j’avoue que je m’en fichais un peu.
Moi, j’avais fait mes calculs. Depuis la décision d’Abe le 27 février dernier de fermer les écoles, nous avions vécu :
– 4 mois de vacances scolaires,
– 3 mois d’école à la maison pure et dure,
– 2 mois d’école un jour à l’école sur deux, semaine A et semaine B,
– 3 mois d’école à l’école, soit l’équivalent d’un unique trimestre morcelé sur une année, sous réserve que ce mois de février à l’école se maintienne.
La colonie me relançait, je devais prendre une décision. Dans un ultime sursaut pour notre fille, je tirai les dés. Pile, optimisme, à la faveur de la belle saison, j’inscris. Face, pessimisme, à la faveur d’un variant plus malin et dangereux, je n’inscris pas. Je lançai : pile. Je confirmai la colonie. Il serait toujours temps d’y repenser au mois de juin.
Ensuite, je me renfermais dans ma routine de l’école à la maison, le dernier bastion d’un monde stable. Petit-déjeuner, déjeuner, dîner, courses. Cours de tennis les lundi, de danse les jeudi, cours de français du CNED les lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi. Ca et là, rendez-vous chez le dentiste ou l’orthodontiste. Quelques créneaux destinés aux appels sur WhatsApp et conférences sur Zoom.
Les beaux jours, les filles jouaient au parc avec les voisins, construisaient une cabane et revenaient pleines de terre. Je me plaignais des lessives. Je ne voyais plus que les lessives. Je lavais sur les murs les dessins à la craie noire des enfants du quartier dont la pluie ne venait pas à bout. Je balayais sous notre porche la terre séchée de nos filles et les feuilles et les brindilles que les bourrasques de vent rapportaient. J’acceptais avec stoïcisme la collection de bâtons qui portaient tous un prénom.
Une semaine après les annonces de Castex, des expatriés établissaient un comparatif des prix pour un test PCR fourni avec une attestation de voyage (5) :
– Gene-Life Covid-19 PCR (en pharmacie ou sur Internet) : 27 500 yens soit 217 €
– Medical Clinic Ebisu (Tokyo) : 20 400 yens TTC soit 161 €
– Clinic Nearme (Tokyo) : 22 000 yens TTC soit 173 €
– Plateforem TeCOT : 23 000 yens TTC soit 181 €
– Oyé ! Oyé ! La compagnie aérienne ANA casse tous les prix : 12 650 yens TTC soit 100 € (6)
– Oyé ! Oyé ! Un laboratoire à Yokohama délivre dans la journée pour 26 400 yens soit 208 €
Certains hurlaient au scandale. La gratuité des tests en toutes circonstances, un droit. Certains débattaient. L’interdiction de rentrer en France : discriminatoire, illégale, liberticide ou solidaire ? D’autres ne se voyaient touchés par aucun doute et saisissaient la justice (7).
Ces questions me laissaient de glace. Je ne parvenais plus à m’y intéresser ni à m’en faire une idée. Le fait que je pouvais sortir et entrer plus facilement au Japon que dans mon propre pays peinait à se faire un chemin dans mon esprit.
Une seule chose demeurait certaine à mes yeux. Les filles de retour à l’école, je ne saurais jamais la veille si je pourrais travailler le lendemain, quand et si je terminerais cet article. Je regardais la pile de ceux qui n’iraient pas plus loin que l’état de brouillon ou qui ne verraient jamais une fin, ceux inscrits dans ma tête puis oubliés. J’avais longtemps préféré des publications un peu précipitées selon moi. Elles valaient toujours mieux qu’un abandon. A force d’élans stoppés nets, je me sentais trop lasse pour y croire et continuer. Alors la gratuité des tests. Alors les français d’Europe et ceux d’ailleurs. J’avais abandonné.

- Japan considers extending its second state of emergency, Time Out, 1er février 2021
- State of emergency extended for one month, NHK World – Japan, 2 février 2021
- École en présentiel un jour sur deux avec une alternance de semaines A et B.
- Foreign residents are eligible for Japan’s Covid-19 vaccination programme, confirms minister, Time Out, 2 février 2021
Approved: Japan will provide free Covid-19 vaccination for the whole country, Time Out, 2 décembre 2020 - Les tests pour les patients présentant des symptômes sont pris en charge par le système de santé japonais.
- Medical Clinic Ebisu (lien), Clinic Nearme (lien), Plateforem TeCOT (lien), ANA (lien)
- #JeVeuxRentrerChezMoi : bloqués à l’étranger depuis la fermeture des frontières, des Français saisissent le Conseil d’État, LCI, 08 février 2021
Allez courage !!!
Je ne savais pas que tu avais tiré la colonie au dés 😉
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Pas mal comme manière de décider, n’est-ce pas ? 😉
Je croise les doigts fort fort fort.
Enormes bises et bonne journée
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France, Japon : même combat, même ressenti, même sensation d’un tunnel dont on ne voit pas le bout….
Je vois que les sentiments qui nous habitent actuellement sont également les vôtres. Alors n’est-il pas normal, voire nécessaire d’avoir ces « coups de down » ? Oui ! Nécessaire ! Car je pense que ce sont eux qui nous permettent quelque fois de lâcher prise….encore faut-il ne pas tomber trop bas ! Pour cela, les ami(e)s veillent et restent présents, même à des milliers de km ! 😉
Énormes bises
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Coucou Chris,
Merci pour ce long message et ta présence, même à des milliers de kilomètres.
J’aime bien cette image du tunnel dont on ne voit pas le bout… C’est exactement cela. J’ai eu beau ne croire à aucune illusion en ce début d’année 2021, je ne m’y fais pas parfois.
Tu vois, je marchais ce matin, au bord de la mer, comme le permet si bien Yokohama et je me suis dit qu’en 2020, c’était la première année depuis 20 ans où je n’allais pas quelque part à l’étranger… Et encore, j’ai réussi à prendre l’avion pour aller à Okinawa… Cela veut dire beaucoup pour moi. Heureusement, il me reste les voyages à bicyclette dont je ne me lasse jamais 🙂
Enormes bises et à très vite 🙂
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