Voici bientôt deux semaines que nous sommes rentrés de France et je ne sais ni par où ni par quoi commencer.
Au moment de toucher la terre sous l’effet d’une lente dissipation du voyage, je tâte peu à peu le pouls du sol nippon mais je ne sais ni par où ni par quoi commencer.
Nous vivons notre treizième jour de confinement et il continuera ainsi jusqu’au quatorzième, dimanche à minuit, afin de respecter les formalités de notre arrivée. Après un tour de France qui a duré presque deux mois, à défaire et refaire les valises, avaler les kilomètres et les paysages, fêter des retrouvailles et nous emplir de nos proches, la quatorzaine ne s’annonçait pas difficile au début. Au risque de surprendre, j’ajouterais qu’elle se révélait la bienvenue. Nous allions nous reposer, enfin, retrouver notre lit, notre chambre, nos affaires, et vivre comme bon il nous semblerait. Nous prendrions notre temps pour ranger les bagages et affronter les difficultés du décalage horaire.
Ici le confinement est surveillé. Plusieurs fois par jour, nous nous connectons à une application, « MySOS », dont j’imagine que la page n’appartient qu’à ce pays. Elle envoie ses instructions à divers horaires de la journée :
– signaler notre position en cliquant sur le bouton « I’m here »,
– confirmer notre position en enregistrant un appel vidéo automatique de trente secondes,
– avant quatorze heures, remplir un questionnaire médical rapportant une éventuelle fièvre et d’éventuels symptômes,
– dans le cas de L., parce que nos filles sont enregistrées sur son dossier (1), répondre à l’appel vidéo d’un opérateur qui contrôle leur présence à la maison.
J’ai déjà raté trois appels alors que je me tenais bel et bien à notre domicile. Le premier était dû à l’inexpérience : le temps que j’identifie le message prévenant d’un appel imminent (une minute), puis l’appel en tant que tel, et que je déverrouille mon téléphone, la connexion s’était arrêtée. La deuxième fois, j’avais oublié mon téléphone au premier étage alors que je reprenais la routine des poubelles au rez-de-chaussée. La troisième, je faisais la sieste : j’ai entendu la sonnerie, émergé de mon sommeil, cherché mon téléphone en vain et sombré de nouveau, indifférente.
Au début, je croyais que nous ne pouvions sortir sous aucun prétexte. La brochure de vingt-sept pages qui explique l’installation et l’utilisation de l’application indique de « ne PAS entrer en contact physique avec d’autres personnes ». Le message de réponse au bilan de santé journalier précise d’éviter de sortir « sauf si nécessaire », mais si tel était le cas, de respecter les gestes barrières et s’interdire les transports en commun.
J’ai interprété l’espace laissé par ce qui m’a paru former une zone floue. Je suis sortie après dix-neuf heures, à la faveur de la nuit, ou une fois assurée de ne plus avoir à répondre à un enregistrement vidéo. Je fais une course rapide (des légumes, des fruits frais) ou je marche un peu dans le quartier. J’emmène une fille avec moi, ou les deux. Un soir, à Chinatown, nous avons aperçu une drôle de bête traverser la route, certainement un tanuki, symbole de bonne fortune et de prospérité (2). De son côté, pas une fois L. n’a franchi le pas de la porte.
Alors que j’expliquais brièvement ces mesures à des amis, certains ont assuré que ce dispositif se verrait inconcevable en France, à moins de provoquer un tollé national. Dans sa brochure, le gouvernement japonais prévient :
« Vous devez soumettre un engagement écrit indiquant votre accord sur l’utilisation de l’application au cours des quatorze jours après votre entrée au Japon. »
Puis souligné, et en rouge dans le texte :
« En cas de violation de l’engagement ci-dessus, votre nom (nom et nationalité pour les ressortissants étrangers) pourra être publiquement divulgué, et vous pourrez faire l’objet d’une incarcération. Vous pouvez également faire l’objet d’une révocation de statut de résident et d’une expulsion en vertu de la loi sur le contrôle de l’immigration. »
Nous avons échappé avec soulagement aux trois premiers jours de la quatorzaine enfermés dans un hôtel assigné par le gouvernement, à l’issue desquels un troisième test PCR est effectué (3).
Depuis que cette obligation existe, des Français partagent leurs expériences sur un réseau WhatsApp dédié au Covid : l’inconfort et l’étroitesse des chambres, deux lits simples chacun collé à un mur, une table de nuit au centre et l’espace pour deux grosses valises uniquement. Certains envoient des photos de leurs bento, conseillent de choisir les végétariens, plus proches de la cuisine occidentale, ou d’apporter quelques provisions. D’autres Français leur répondent et demandent s’il existe un réfrigérateur, une bouilloire, s’il est autorisé de se faire livrer des repas, etc. (4)
Dans les hôtels APA, dans lesquels nos compatriotes se voient le plus souvent reclus, ils mentionnent aussi un haut-parleur qui braillerait jusqu’à neuf annonces journalières. A ma demande, inquiète pour mon sommeil accroché à son fuseau, une Française avait répertorié ces annonces et décrit l’agenda type d’une journée :
– 6h30 : le kit pour le dernier test PCR avant la sortie va être déposé à la porte de votre chambre (seulement pour les résidents dont c’est le troisième et le dernier jour à l’hôtel).
– 7h00 : le bento (petit-déjeuner) va être servi (sac plastique accroché à la poignée de votre porte), attendre la prochaine annonce pour le récupérer.
– 7h20 : bento déposé, vous pouvez le récupérer (sortez masqués et évitez de vous retrouver bloqués dehors, les portes ne s’ouvrent qu’avec un badge).
A ces trois annonces, s’en ajoutent encore deux pour le déjeuner (la première vers 11h30, la seconde vers 12h), et deux pour le dîner (17h30, puis 18h00). Enfin s’ajoutent une annonce vers 13h, puis une autre dans l’après-midi à l’attention des personnes quittant l’hôtel le jour même.
Ainsi, une Française avait recommandé d’apporter dans ses bagages du papier bulle et un solide rouleau de scotch afin de camoufler le haut-parleur et atténuer les décibels. Elle avait envoyé une photo de son montage que je poste sur Kawaii avec sa gentille autorisation.
Pas plus tard qu’avant-hier, un monsieur expliquait comment ouvrir le cache du haut-parleur, accéder au module derrière le cache et abaisser au minimum la réglette du niveau sonore (positionnée au maximum), tout en prenant soin d’un ressort apparemment fragile. Chacune de ses explications étaient illustrées par une image que je poste également avec sa gentille autorisation. Nous l’avons surnommé James Bond. Moi j’ai davantage pensé à Angus MacGyver.
La mesure de ces trois jours a été suspendue quinze jours avant les JO et rétablie une semaine après. Mais même dans ces conditions, beaucoup parmi ceux qui la subissent, ne se plaignent pas, ou très peu. Dans certains pays, il arrive que la totalité de la quatorzaine s’effectue dans un hôtel assigné par les autorités, parfois aux frais des voyageurs (5), et dans des conditions plus difficiles encore.
Passée une semaine, le temps finit par s’étirer. Le confinement et ce qu’il induit, manque d’activité physique, de lumière naturelle, rend plus pénible l’adaptation aux horaires japonais. Mais à la fin, quatorze jours à la maison avec quelques appels dans la journée se montrent un vrai luxe. Et parfois, je ne peux m’empêcher de culpabiliser pour ces quelques écarts dont je n’ai pas su me passer.
- L’application est obligatoire à partir de 13 ans. Si la personne entrant au Japon ne possède pas de portable ou pas de portable sur lequel l’application peut-être installée, elle est obligée d’en louer un à l’aéroport à ses propres frais.
- Tanuki, Wikipédia.
- Le premier test PCR 72 heures avant le vol et le second à l’arrivée à l’aéroport.
- Lire ce témoignage sur JapanToday, daté du 31 mai 2021 : Everything you need to know about quarantining in Japan
- Corée du Sud : « Les personnes titulaires d’un visa coréen de court séjour […] seront confinées dans un lieu d’hébergement désigné par les autorités coréennes. Les frais de séjour, d’un montant d’environ 2 100 000 wons (environ 1 500 euros) pour la quatorzaine, seront à la charge intégrale des voyageurs. ». Lien France Diplomatie.
Kafka complètement dépassé !!!
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Et si tu savais le stress administratif pour rentrer !
Parfois, je crains que l’on s’y habitue.
Bises à toutes la famille.
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Cc, finalement tu as commencé par le commencement d’un retour « chez soi ».
Joie de savoir que tu as passé 2 mois « chez nous ». Joie de savoir que le décalage horaire a été géré en douceur. Joie de te lire.
A très bientôt MPP 🙂
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Cc Delphine,
Joie de te retrouver à nouveau sur Kawaii et joie de te lire aussi. Merci !!!
Bonne reprise et bonne rentrée aux enfants !
Bises
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On reconnaît bien là la rigueur japonaise. Inimaginable en France en effet… jaurai tendance à me dire « bien dommage » !
Contente de vous savoir chez vous.
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Coucou coucou
Je partage ton avis ! Et si tu savais la suite… 😉 … qui arrive très bientôt !!!
Bises et bonne rentrée aux enfants !
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