J’aimerais parler de cet endroit là-bas, au nord de Tokyo, assez loin en réalité quand on habite Yokohama au sud et qu’il faut traverser la ville (1).
S’y épanouissent des glycines dont les jardiniers ont façonné un théâtre ou des tableaux, c’est selon. Une grande promenade dont on se défend de penser qu’elle semble un peu kitsch, mais qui se transforme en féerie la nuit, quand s’allument les lumières.
Il existe des faits que l’on souligne, des sortes d’exploits dont on peut s’enorgueillir. La glycine que l’on a déraciné et transporté à l’âge de cent trente ans. Un toit de mille mètres carrés dont les grappes couvrent les têtes. Le visiteur cherche à apercevoir le tronc et ne se remet pas. Rien ne parvient à embrasser cette étendue mauve.
Seulement il subsiste des questions auxquelles je ne trouve pas les réponses, du moins dans ma langue. Qui a eu l’idée de ce parc, et pourquoi ? Et comment ?
La seule explication se réduit à l’existence d’autres comme lui, aux pruniers (2), aux cerisiers, aux tulipes (3), aux azalées (4), aux roses (5). Et caetera. Et caetera.
Ils choisissent de ne se distinguer que par un ou une, comme s’ils se voyaient soudain mus par une obsession inconnue. Ensuite, ils finissent par battre tous les records et toutes les prouesses.
On y travaille toutes les couleurs, toutes les formes, toutes les tailles, et toutes les espèces, les plus rares, les plus fragiles, les plus précoces et les plus tardives. On essaie les arrangements les plus complexes. On renchérit les nombres, on essaie de mesurer ce que profusion veut dire : le jardin Kairaku-en à Mito, trois mille pruniers, une centaine d’espèces différentes. Le parc Hanegi à Tokyo, lui, six cent cinquante pruniers, mais cent vingt espèces. A Atami (2), si l’on ne peut pas concourir avec les variétés, les sept cent trente pruniers sont réputés fleurir les premiers au Japon.
La glycine ne peut pas se dérober, car aucune fleur, aucun arbre. Ashikaga serait le plus beau du monde mais le sanctuaire Kokuryô à Tokyo posséderait peut-être la plus ancienne du pays. Cinq cent ans (6). Et sacrée.
Des idées de collectionneurs viennent aux visiteurs. La monomanie gagne bientôt de ce côté-là. Peu avant la période supposée, les jours passent à réaliser des inventaires en épluchant les listes publiées sur internet :
– « Où voir les pruniers en fleurs à Tokyo ? »
– « Trois parcs et sanctuaires pour voir des fleurs de prunier à Tokyo »
– « Un océan de pruniers en fleurs près de Tokyo à voir avant le printemps »
– « Trois sites de choix à Kyoto pour admirer les pruniers en fleurs »
– « Cinq adresses pour profiter du festival des pruniers au Japon »
Une seule idée tient désormais la tête, tout voir, ne rien oublier, pendant que la vie se montre généreuse. Ou identifier le meilleur, parmi le meilleur, avec l’instinct sûr du connaisseur.
Quand la fleur ne sera plus, une autre viendra. Elle comblera le sentiment de perte, malgré les croix dans les listes, car une course contre le temps a démarré.
Elle commence avec les pruniers, semble atteindre son faite avec les cerisiers, qui ne font que lancer la saison : encore quelques semaines et les glycines fleuriront, en même temps que les azalées, les roses derrière ne laisseront aucun répit, puis les hortensias et les iris, enfin exténués, à bout de souffle, la fleur de lotus récompensera les plus obstinés. Les spécialistes recommanderont le parc Ueno à Tokyo dès cinq heures du matin pour l’observer s’ouvrir.
Compter sur un petit réseau d’amies se révèle la clef d’une excellente
chasse :
« Je suis passée plusieurs fois ces derniers jours, c’est maintenant ! »
L’heure de tout laisser en plan, mari et enfants. Plus tard, on renverra l’ascenseur.
Ces lieux rencontrent leur moment de gloire. Les visiteurs par cars entiers s’y pressent. Les plus proches, les plus acharnés ou les plus fortunés pour se payer une chambre, arrivent avant l’ouverture et font déjà la queue devant les guichets.
En vue d’attirer les promeneurs le reste de l’année et, enfin, rompre la monotonie, certains se diversifient à nouveau. Le parc aux glycines et ses éclairages à Noël n’y échappe pas. Il faudra y retourner. Y retourner. Sans cesse. Sans arrêt.
Évidemment, je n’ai pas d’histoires à raconter. Pas la moindre petite. Peut-être une glace à la glycine pour les curieux ou les téméraires. Peut-être l’anachronisme d’une bière au yuzu, installée confortablement dans un de ces parterres (7). Vous commencez par oublier les azalées, et vous finissez par oublier le monde.
Plutôt que ces courses un peu folles, j’ai fini par trouver ma manière. Un Hanami (8), en attendant la nuit, arrivée trop tard, ou moi partie trop tôt, bien trop tôt.






















- Ashikaga Flower park : lien
- Atami baien : 730 pruniers fleurissent chaque hiver dans ce parc aménagé à la fin du XIXème siècle. Voir l’article Des pensées
- Showa Memorial Park, Tokyo
- Sanctuaire Nezu, Tokyo
- Yokohama english garden. Voir l’article Les semaines de la rose
- Sanctuaire Kokuryo : Lien
- Le yuzu est un agrume originaire de l’est de l’Asie, très utilisé dans la cuisine japonaise. La pleine saison du yuzu frais va de septembre à décembre.
- Hanami (花見 / はなみ?, littéralement, « regarder les fleurs »), est la coutume traditionnelle japonaise d’apprécier la beauté des fleurs, principalement les fleurs de cerisier (sakura). Le hanami peut quelquefois se résumer à profiter de cette saison pour pique-niquer, discuter, chanter sous les cerisiers en fleur.
C’est beauuuuuuu ! Non pardon, c’est magnifique !!!! 😍
Merci de nous faire partager tout cela.
Ton texte est sublime, pas besoin de se raconter d’histoires comme tu le dis si bien. Juste profiter de l’Hanami (ce que nous pourrions faire nous aussi ici).
Oui, les fleurs sont éphémères, tout comme le temps qui passe…. alors profitons, profitons de ce que la nature nous offre, profitons de tout, tout de suite et maintenant 🥰
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Merci pour ta lecture et ton super gentil message ! Que je partage évidemment 🙂
Même si nous devenons plus philosophes avec le temps, il y a un truc que nous savons pratiquer depuis longtemps… C’est la bonne petite bière 😉
Bientôt, nous essaierons en compagnie des fleurs.
Grosses bises
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Le texte est aussi envoûtant que les photo.
Merci pour ce voyage féerique 🌸
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Merci pour ton gentil message ! 🙂 Et merci pour ta lecture.
Bises et à très bientôt !
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